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Couleur Lauragais : les journaux
Reportage

Les métiers au Mas Saintes Puelles en 1930

Alfred Cazeneuve a passé son enfance au Mas Saintes Puelles, une petite bourgade de l’Aude située dans le sillon du Lauragais, canton Sud de Castelnaudary, où il est né le 22 juillet 1923 ; son père était régisseur à Guilhermis, importante propriété jouxtant le village. Afin que les plus jeunes connaissent la façon de vivre et de travailler de cette époque, Alfred a mis par écrit ses souvenirs. Dans son mémoire "La vie au Mas en 1930", il nous raconte entre autres les métiers de l’artisanat qu’il a pu voir exercer dans son enfance. Alfred avait alors 7 ans.



Vue générale du Mas Saintes Puelles et de ses deux moulins avant la mécanisation
Crédit photo : Collection R. Pelissier

Le maçon
"Lé Paul d’En Bonaparto", c’était le maçon. Un autre maçon, Brousse, était de plus charpentier. Que de faîtes de hangar sont sortis de ses mains ! Les coupes impeccables, visibles encore de nos jours, n’ont pas varié. Du travail de professionnel ! ! !
Les maisons étaient uniquement bâties en pierre. Des dizaines de tombereaux étaient nécessaires pour amener ce matériau. La chaux et quelquefois le ciment étaient gâchés à même le sol. Le manœuvre, auquel cette tâche était confiée, muni d’une espèce de houe (un "foussou"), emmanchée très long, brassait sable et chaux. On voyait surtout dans les hangars les trous laissés par les empreintes des échafaudages, les "traoucs bariés" : trous dans le mur, où étaient fixées les planches. Ils servaient ensuite à la ventilation des granges.

Le charron
"Lé Calixt" était très compétent. Sa renommée dépassait les limites de la commune. Comme tout bon ouvrier qui se respecte, il avait un caractère entier. Il ne fallait pas trop lui "friser les moustaches". Il fabriquait et réparait les charrettes à longueur d’année. Le cerclage des roues était un spectacle que les gosses ne manquaient pas. Le feu était allumé sous le cercle de fer, le bandage. Ce dernier, rougi, enserrera les "raïsses" de la grande roue (pièces servant à tenir les croisillons des roues).
C’était lui également qui fabriquait les cercueils. Lorsqu’une personne décédait, on allait voir le charron. La fabrication du cercueil demandait de longues heures et c’est souvent la nuit qu’il y travaillait.



Le charron préparant les "raïsses" - Crédit photo : Collection R. Pelissier

Le cordonnier
Mounié, "Lé Pétassou", habitait au fond du village sur la route allant au cimetière vieux à Castel-naudary. Atteint d’une infirmité à une jambe, Mounié avait appris le métier de cordonnier. A cette époque, on se faisait faire des souliers sur mesure. Je me souviens d’avoir posé le pied sur un carton où le cordonnier prenait l’empreinte avec un crayon.
Mounier était aimé des enfants ; les garçons venaient souvent le solliciter pour qu’il les aide à confectionner des "flèches", les frondes pour tirer sur les moineaux. Il taillait de petites lamelles de cuir reliées à la "fourquette", retenues par des rivets, dans lesquels on enserrait le caoutchouc carré acheté au Grand Bazar à Castelnaudary, magasin qui se trouvait sur la Place aux Herbes.
Mounier participait aux fêtes et, lors des entractes, il interprétait toujours la même chanson, qui lui était d’ailleurs réclamée, "Jean Quaouquill a maridat sa fillo". (Jean Quaouquill a marié sa fille).
En 1930, "Lé Pégot" avait cessé son activité ; il tenait le Café de la Mairie.



L'échoppe du savetier ou "petassou" (le cordonnier)
Crédit photo : Collection R. Pelissier



Le cordonnier fabriquait des chaussures sur mesure
Crédit photo : Collection R. Pelissier

Le serrurier
"Lé Saraillé" faisait partie aussi de ces métiers qui marquaient la vie du village. "Lé Louiset", Lagasse avait une célèbre réputation. Il aiguisait toutes les pointes qui servaient à "piquer" les meules des moulins à vent de presque tous les coins du canton. Cette opération consistait à rendre rugueuses les meules de silex qui moulaient le grain. Il avait, paraît-il, un secret pour la trempe. De rouge cerise quand il sortait ces pointes du foyer de la forge, elles devenaient gorge-de-pigeon après trempage. C’est par centaines qu’elles furent amenées dans des sacs de jute. "Lé Louiset" passait de longues heures devant le foyer de la forge. Le soufflet était actionné par son fils et quelquefois même par son petit-fils André, qui avait sept ans en 1930.
En plus de la réparation des serrures, "Lé Louiset" s’occupait aussi de l’horloge du clocher.

Le forgeron
"Lé Géno", Mittou, était également le maréchal-ferrant. Il était aidé dans sa tâche par un "garçon", un apprenti.
Le Mas avait connu avant lui un célèbre maréchal-ferrant qui s’était reconverti dans l’agriculture : "Lé Célest", Célestin Gaubert, dit aussi "L’Agassou". Célestin avait fait le tour de France comme compagnon, et avait appris son métier dans toutes les forges visitées lors de ses séjours.
Le cheptel du Mas était important. On ne travaillait qu’avec les bœufs et les chevaux. On ferrait tous les jours, mais le plus souvent avec la lune vieille. La corne disait-on poussait plus vite avec la lune nouvelle (les cheveux aussi paraît-il ! ! !).
La forge était allumée de très bon matin, bien avant le jour. Le forgeron aiguisait aussi les socs des charrues et les carrelets. Avec l’arrivée des premières faucheuses et plus tard des lieuses, il se fera un peu mécanicien.
L’hiver, la forge rassemble les hommes ; c’est le lieu où l’on colporte les nouvelles : "Ban dit a la forjo" ("Ils l’ont dit à la forge").



Chez
le maréchal-ferrand : le travail, lieu où les bœufs étaient sanglés et suspendus afin d'être ferrés
Crédit photo : Collection A. Cazeneuve

Le carrier
Il reste à ce jour, des traces des carrières qui étaient exploitées en 1930. On y extrayait la grave pour les chemins communaux et pour empierrer sols et chemins privés. On pataugeait dans la boue le plus souvent dans les cours des fermes. Un carrier professionnel, "El Salsisso", exerça sa profession de longues années durant et puis, victime d’un accident, (la mine sauta trop tôt), il perdit la vue. Fait navrant : il avait arrêté son assurance contre les accidents à peine quelques jours auparavant.
Il confectionna sur ses vieux jours pas mal de paniers et de corbeilles d’osier pour vivre.

Le potier
En 1930, Monsieur Perrutel créa la poterie. On peut toujours voir sur la grande cheminée, cette date écrite avec des briques émaillées de couleur. Nos terres argileuses avaient permis à cette usine de s’installer.
Que de cruches (ustensiles utilisés pour le transport de l’eau par les ménagères), de pots à graisse (les "graïssiés" : pots vernis dans lesquels on mettait la graisse de canard ou d’oie, exposés dans les cuisines d’autrefois), grésales (grands récipients) et cassoles sont sortis des mains habiles de ses ouvriers.
Le Père Not (Emile) et François Gleizes ont travaillé à la poterie. Ce dernier était réputé, il passait pour un ouvrier exceptionnel. Emile et François prirent le fonds quelques années plus tard. Au-jourd’hui, c’est au tour des fils d’Emile, Aimé et Robert, de poursuivre l’activité.
La poterie du Mas est réputée, et de nombreux chalands s’y succèdent. Ils en repartent avec de véritables petits chefs-d’œuvre.



Le potier fabriquait les "graïssiés" - Crédit photo : Collection R. Pelissier

Si certains métiers ont disparu, comme la charron ou le cordonnier, d’autres sont encore présents : on trouve toujours des maçons bien sûr, mais aussi le potier.
Grâce aux souvenirs des anciens, de nos parents et grands-parents, nous pouvons laisser une trace des us et coutumes de nos villages d’antan, et transmettre cette mémoire aux générations futures.
Aujourd’hui le Mas Saintes Puelles s’est agrandi ; le cœur du village reste toujours charmant, avec sa place ornée de platanes et ses ruelles ombragées.

Alfred Cazeneuve



Le Mas Saintes Puelles de nos jours - Crédit photo : Couleur Média

Vous pourrez retrouver ces écrits sur une enfance au Mas Saintes Puelles dans l’ouvrage publié par Alfred Cazeneuve en 2005, Le goût de la vie dans le Lauragais d’autrefois, la vie au Mas Saintes Puelles en 1930, aux éditions La Gouttière, en vente chez l’auteur tél. 04 68 23 07 14.

Petit lexique des surnoms :
Chacun avait un surnom, ou "escaïs", en rapport avec son activité ou bien avec son caractère, avec son prénom ou encore avec ce qu’il apportait lors du repas annuel des villageois. Dans la tradition campagnarde, les prénoms sont souvent précédés de l’article défini "le" ou "la".
"Lé Paul d’En Bonaparto" : le Paul d’En Bonaparte, nom du lieu d’habitation
"Lé Calixt" : le Calixte
"Lé Pétassou" : celui qui "pétasse", qui rapièce
"Lé Pégot" : celui qui colle avec de la poix ; nom donné à tous les cordonniers de l’époque
"Lé Saraillé" : le serrurier
"Lé Louiset" : le petit Louis
"Lé Génov" : Eugène
"Lé Célest" : Céleste
"L’agassou" : la petite pie
"Lé Salsisso" : la saucisse, il avait apporté de la saucisse au repas annuel.

Couleur Lauragais n°83 - Juin 2006