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Couleur Lauragais : les journaux
Histoire

Quand le Lauragais était sur la route de l'étain

L’élaboration des métaux à partir de leur minerai a été découverte il y a six millénaires en commençant par la métallurgie du cuivre. Un alliage appelé bronze ou airain plus facile à fondre et à mettre en œuvre que le cuivre pur, est obtenu en alliant le cuivre avec l’étain.L'ajout de 12% d'étain au cuivre



1 - Lingot de métal époque gauloise

permet d'abaisser le domaine de température de fusion d'une centaine de degrés : le cuivre pur fond à 1083°C, alors qu’un alliage cuivre-étain à 12% d'étain commence à fondre dès 830°C, la température de fin de fusion étant de l’ordre de 1000°C. Ces températures étaient plus accessibles aux fondeurs avec les technologies de l'époque mettant en oeuvre des fours de petites dimensions équipés de soufflets souvent peu efficaces.

L’élaboration des métaux à partir de leur minerai a été découverte il y a six millénaires en commençant par la métallurgie du cuivre. Un alliage appelé bronze ou airain plus facile à fondre et à mettre en œuvre que le cuivre pur, est obtenu en alliant le cuivre avec l’étain. L'ajout de 12% d'étain au cuivre permet d'abaisser le domaine de température de fusion d'une centaine de degrés : le cuivre pur fond à 1083°C, alors qu’un alliage cuivre-étain à 12% d'étain commence à fondre dès 830°C, la température de fin de fusion étant de l’ordre de 1000°C. Ces températures étaient plus accessibles aux fondeurs avec les technologies de l'époque mettant en oeuvre des fours de petites dimensions équipés de soufflets souvent peu efficaces.

L'étain métal stratégique et mythique

L'étain, nerf de la guerre, indispensable pour fabriquer le bronze des cuirasses mais aussi de la vaisselle et autres ustensiles, était pratiquement absent dans le bassin méditerranéen. L'étain devint rapidement un métal précieux très recherché ; le Lauragais était alors sur la route de l'étain (1).
L'étain antique a toujours été entouré de mystère, car les commerçants grecs, phéniciens et carthaginois pour préserver leur marché ne voulaient pas dévoiler leurs sources d'approvisionnement (2). Le mystère était entretenu par les écrits des premiers historiens et géographes qui situaient l'origine de l'étain dans des lieux mythiques comme les îles Cassitérides. Des récits antiques plus récents ont révélé que l'étain provenait du sud de l'Angleterre (Cornouailles anglaise) ; les îles Cassitérides correspondent à l'archipel des Sorlingues ou îles des Scilly situé au sud de l'Angleterre. L'Armorique (Bretagne française) possédait aussi des ressources en étain.

L'étain de Cornouailles traversait le Lauragais

Pour les peuples de la Méditerranée, la route principale de l'étain était maritime ; elle contournait la péninsule ibérique en passant par les colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar). Cette route très longue, le plus souvent impraticable à cause du mauvais temps, longtemps contrôlée par les carthaginois, était surtout la route de tous les dangers (risques d'abordage..). Mais il y avait aussi des voies terrestres, qui empruntaient les pistes et les rivières de notre hexagone. L'une d'elles reliait l'Océan à la Méditerranée à travers l'isthme gaulois : la route de l'étain passait alors en Lauragais.
Depuis l’âge du bronze et pendant plusieurs siècles, le trafic important entre Océan et Méditerranée lié au commerce avec la Grande Bretagne producteur de l'indispensable étain et avec la Baltique mère de l'ambre, passait par le Lauragais. L’étain ou son minerai, échangé contre des poteries, du sel et des vaisselles de bronze, était transporté par voie maritime depuis la Grande Bretagne jusqu’à l’embouchure de la Gironde (Photo 1). Les îles Cassitérides devaient servir de relais entre le lieu de production (Cornouilles) et les pays d'utilisation. Ensuite, la précieuse marchandise était acheminée par Garonne, jusqu’à Toulouse dans de petites embarcations adaptées à la navigation fluviale, le transport fluvial étant à l'époque plus sûr et plus rapide que le transport routier, compte tenu de l'état des pistes et des chemins notamment par temps pluvieux.

Un commerce très lucratif

C'est à bord de bateaux à faible tirant d'eau, tels ces bateaux d'osiers recouverts de peaux et à voile de cuir, que l'étain remontait jusqu'à Toulouse. Ces frêles embarcations ne devaient guère pouvoir transporter que quelques tonnes du précieux métal. Mais cet étain n'étant allié qu'à raison de 10 à 15 % au cuivre, cela faisait une belle production d'airain et de gros bénéfices en perpectives.
Toulouse, lieu où la Garonne est au plus près de l'Aude, l'autre fleuve de l'isthme gaulois, était le point de rupture de charge, les marchandises venues du fleuve étaient débarquées et chargées pour être transportées par voie terrestre.

Les pistes lauragaises

Le Lauragais était le passage obligé de tout le trafic entre Garonne et Aude. L’étain débarqué à Toulouse était transporté probablement à l'aide d'animaux de bât (ânes, mulets…), de relais en relais en empruntant les pistes du Lauragais. L’itinéraire principal suivait la voie antique passant par le seuil de Naurouze. Les routes de crêtes plus sûres et moins embourbées étaient aussi utilisées. L'étain qui traversait le Lauragais était surtout destiné aux peuples du bassin méditerranéen. A l'époque romaine, il était embarqué à Narbonne à destination d'Ostie et Rome.
L'étain a pu être allié aussi au cuivre des Corbières, du Cabardès et des Cévennes dont les mines étaient exploitées pour une métallurgie locale, bien avant la conquête romaine. Dans l’antiquité à Salsigne on extrayait le cuivre, le plomb, l’argent et le fer. A Cabrières dans l’Hérault 1800 ans avant notre ère, on extrayait du minerai de cuivre antimonifère utilisé pour la production régionale d’un alliage à 5 - 8 % d’antimoine, succédané du bronze dans une région qui ne possédait pas d’étain. Attirés par les richesses légendaires de la Gaule, les Romains donnèrent aux travaux mi-niers de ces régions une certaine ampleur et ouvrirent de grandes exploitations.
Au seuil de la vallée encaissée du Sor, Durfort perpétue une longue tradition locale de l'industrie du travail du cuivre (3) (Photo 2). Au 16ème siècle on ne comptait pas moins de 29 usines travaillant sur la transformation du cuivre. La présence de l'énergie hydraulique comme force motrice pour actionner les martinets a été pour Durfort un atout décisif.



2 - Durfort au creux de la vallée du Sor, au pied de la Montagne Noir
e

Quand Baziège s'appelait Badera

Le trafic de ce parcours légendaire, à travers le Lauragais qui a porté primitivement sur l'étain, s'est ensuite étendu à d'autres métaux comme le plomb et le zinc des îles britanniques, tandis que des produits manufacturés du basin méditerranéen suivaient le chemin inverse. Ainsi, bien avant la conquête romaine des relations commerciales unissaient régulièrement par le Lauragais la Méditerranée et l'Océan. Ce trafic a profité aux autochtones du Lauragais puis aux Volques - Tectosages installés entre la Garonne et la mer méditerranée, comme il a enrichi les Bituriges de Bordeaux qui surent très tôt (3e siècle avant JC) prélever des taxes sur tous les navires passant devant chez eux. Il suppose l’existence de tout un réseau de marchands, de convoyeurs, et d’animaux de bât mais aussi la présence d’entrepôts et d’abris pour les marchandises et les hommes. La voie antique entre Garonne et Aude, réaménagée par les Volques au 3e siècle av. J.C., franchit la vallée marécageuse de l'Hers à Baziège. Il est probable que Baziège, Badera à l'époque romaine, à proximité d'un gué aménagé, facilement contrôlable, ait tiré lui aussi profit de sa position stratégique.
Les autochtones en contact avec les commerçants méditerranéens avaient bien du mal à les considérer comme des ennemis et les romains après -121 s'implanteront dans la région sans trop de difficultés, 70 ans avant que Jules César se lance dans la Guerre des Gaules. Les vins romains, importés d'Italie depuis Pompéi, inonderont rapidement la Narbonnaise et remonteront la route de l'étain à travers la plaine Lauragaise jusqu'à Toulouse et Bordeaux à destination des pays du nord.

Des bas fourneaux gallo-romains aux portes du Lauragais

Le commerce de l'étain cessa d'être le premier centre d'intérêt dans la région avec l'arrivée en force du fer, notamment à partir du 3e siècle avant JC. L'industrie du fer était fortement implantée aux portes du Lauragais dans la Montagne Noire, grâce à la présence de minerai de fer, provenant essentiellement de formations très superficielles dénommées "chapeau de fer" et à l'abondance de bois. Le fer était obtenu par réduction directe du minerai par le charbon de bois, vers 1000°C ou 1050°C dans des bas fourneaux. Ce procédé antique qui conduisait à une loupe de fer à l’état solide sans passer par l’état de fusion est beaucoup plus difficile à maîtriser que la métallurgie du bronze ; la purification de la loupe par une succession de martelage et de chauffage pour obtenir du fer présentant de bonnes caractéristiques mécaniques était l’oeuvre de forgerons habiles et très expérimentés.



4 - Berniquaut

3 - Ancien site d'extraction
du minerai de fer, site minier du Calel

Dans la région des Martys, entre le 1er siècle av. JC et le 2e siècle apr. JC, les bas fourneaux tournaient à plein régime et la production de fer était considérable. L'industrie métallurgique de l'époque était très consommatrice de bois et les forêts de la Montagne Noire ont payé un lourd tribu à ce type d'activité peu soucieuse de l'environnement. Les forgerons du Lauragais relativement proches des lieux de production du fer et notamment ceux installés le long de la voie d'Aquitaine, à Eburomagus (Bram), Sostomagus (Castelnaudary) et Elusio (Naurouze) furent alors des plus actifs et des plus habiles pour mettre en forme et durcir le métal (4).
L’activité métallurgique pour la production du fer s’est plus ou moins maintenue après l’époque gallo-romaine. Le site minier et métallurgique du Calel (Photo 3) prés de l’oppidum de Berniquaut (photo 4) berceau du village de Sorèze dont le sous sol a été méthodiquement fouillé pour rechercher le précieux minerai de fer (strates et nodules ou concrétions d’hydroxydes de fer) permet de se faire une idée de l’intense activité métallurgique qui régnait dans la Montagne Noire au Moyen âge (5). Lorsqu’en se promenant on se rapproche des cours d’eau de la montagne Noire on distingue encore par endroit des constructions d’anciens établissements métallurgiques dont certains ont fonctionné jusqu’à la fin du 19ème siècle , avec leur béal pour amener l’eau jusqu’au martinet (Photo 5) ; un bon chemin dallé de galets donne encore accès à ces lieux (Photo 6).
Ainsi le Lauragais, voie de passage et d'échange entre l'océan et la Méditerranée, a suivi de très près les avancées technologiques d'un monde en perpétuelle évolution.

5 - Béal conduisant les eaux de la Dure jusqu'à l'emplacement de la puissante soufflerie hydraulique
de la forge à la catalane de Montolieu

6 - Chemin dallé de galets donnant accès
aux bâtiments de la forge


Lucien ARIES
Association ARBRE

(1) Lucien Ariès - Le Lauragais, terre de passages, d’échanges et de cultures ; Ed. ARBRE, Imp. Jouve Paris (2005).
(2) L'étain existe rarement à l’état natif (sous forme de métal). Plus communément, il existe sous forme d'oxyde dans le minerai appelé cassitérite (mot qui vient du grec kassiteros qui signifie étain). Le minerai est facilement transformé en étain par chauffage en présence de charbon de bois. Le point de fusion de l'étain étant très bas (232°C), il est obtenu à l'état fondu et mis sous forme de petits lingots facilement transportables..
(3) Pascal Rassat - Durfort et l'industrie du cuivre ; Couleur Lauragais - n° 34 (2001)
(4) Michel Passelac - Laboratoire d’Archéologie du Lauragais
(5) Jean Paul Calvet - Société d’Histoire de Revel-Saint Ferréol

Crédit photos : Lucien Ariès

Couleur Lauragais n°79 - Février 2006