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Couleur Lauragais : les journaux
Histoire

Louis Fourcade
Un grand résistant du Revélois dans l’oubli

1945 - 2005, il y a soixante ans prenait fin la deuxième guerre mondiale ! L’occasion de rappeler à nos jeunes et moins jeunes lecteurs du Lauragais et de la Montagne Noire, le souvenir de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, pour que paix et liberté soient enfin retrouvées. Bien que non originaire de Revel, un résistant exemplaire a disparu dans cette ville, au début du mois d’août 1944 ; il s’agit du lieutenant Louis Fourcade dit "Bastia". Rendons-lui un respectueux hommage en ces journées du souvenir du mois de novembre.



Portrait d’un jeune résistant
Ce très jeune combattant avait vu le jour le 1er février 1923 à Carcassonne, dans une famille de Laure-Minervois. Brillant élève, il fut intégré dans la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr (près de Versailles). Quelques temps après la déclaration de la guerre 1939/40 et la défaite française, il devient assistant dans les chantiers de la jeunesse (*). Dans le milieu de l’année 1943, il fut l’un des premiers fondateurs du maquis de Trassanel, petit village de l’Aude, tout près de Villeneuve-Minervois et de Sallèles Cabardès. Il existait en ces lieux des grottes qui furent aménagées pour y recevoir ces jeunes gens (une vingtaine d’années), pour la plupart des réfractaires à ces camps de jeunesse et au S.T.O (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne. Lucien Maury, dans son livre "La résistance Audoise" nous dit : "… je m’occupais particulièrement de la vie de ce nouveau maquis, aidé par Edmond Agnel, le lieutenant Burnet, Wilson Tessoneau et Louis Fourcade, qui malgré son jeune âge, faisait preuve d’une très forte personnalité qui se confirmera par la suite …" - " … En attendant les parachutages, il fallait faire patienter tous ces jeunes gens… au bout de trois mois, il fallut envisager le déplacement du maquis. La grotte de Trassanel était d’un accès difficile par un petit sentier côté village et un ruisseau côté Villeneuve. Après concertation, il fut décidé d’aménager la ferme abandonnée de Montreon, au-dessus du hameau de Series, à l’ouest du roc de l’Aigle, camouflée dans les bois …" - " …A ce moment-là, Louis Fourcade qui avait pris contact avec le maquis du Corps Franc de la Montagne Noire (C.F.M.N, créé en avril 1944), beaucoup plus important et mieux organisé, décida de le rejoindre avec deux ou trois autres jeunes. Je le regrettai vivement. La lettre qu’il m’écrivit le 16 février 1944 lors de son départ, je l’ai conservée comme une relique…!"

Baptême du feu
Au mois de juin 44, le 7 précisément, après le débarquement des Forces Alliées en Normandie, les évènements se précipitent, tant du côté amis que du côté ennemis. Le lieutenant Fourcade et le sous-lieutenant Marc sont désignés comme officiers de liaison et placés respectivement auprès des commandants Mompezat et Sévènet, fondateurs du C.F.M.N. Ce maquis compte déjà entre 500 et 600 hommes et ce rassemblement s’opère dans la région du Pic de Nore. Une des premières opérations se déroule le 9 juin à l’aube, après une nuit passée sans sommeil, deux escadrons à effectifs réduits sont placés en embuscade sur les routes de Saissac, St Denis, Montolieu/St Denis et Carcassonne-Mazamet. Le capitaine Kervenoael prend le commandement des deux premiers groupes, le commandant Mompezat, accompagné du médecin-capitaine Manquéné, des lieutenants Fourcade et M… le troisième groupe et choisissent comme emplacement d’embuscade le lieu-dit des Escoussols. Le lieutenant Fourcade met en place ses hommes. Il ne reste plus qu’à attendre le passage de l’ennemi !… c’est la première fois que ces jeunes soldats vont tirer sur des hommes, c’est la première fois qu’ils vont entendre le sifflement des balles à leurs oreilles ? Ils ne marquent aucune émotion, ils sont gais et plaisantent joyeusement… vers 9 h, venant de Mazamet, dé-bouche du virage nord une camionnette couleur café au lait, qui s’engage à fond de train sur la longue descente. Conformément aux ordres reçus, les premiers hommes ne tirent pas. La première salve, qui est en même temps le signal de "ouvrez le feu", part du deuxième groupe embusqué au milieu de la descente. Le fusil mitrailleur qui est en bas dans le virage sud attaque alors la camionnette de face. Sous un feu nourri, elle poursuit sa route zigzagant et réussit à prendre le virage qui la met hors de vue… On croit l’affaire manquée et les jeunes combattants du Corps Franc sont désappointés… Le lieutenant M…, avec quelques hommes, va faire une inspection sur la route. Deux kilomètres plus loin, ils retrouvent la camionnette renversée dans le fossé, criblée de balles, six allemands tués à son bord. C’était leur "baptême du feu" réussi. Dans les jours qui suivent, le CFMN va entreprendre de nombreuses embuscades contre l’ennemi qui commence à les attaquer, celles-ci avec succès aussi !. Mais cela ne va pas durer…

Première manifestation de force déployée à Revel
Le commandement allemand a interdit la circulation à tous les véhicules de la Wehrmacht sur l’axe Car-cassonne-Mazamet. Les allemands ont installé dans toutes les communes qui entourent le massif des petites garnisons qui vivent sur le pays et qui sont assez mobiles. En cette fin juin 1944, cet important maquis (C.F.M.N.) est à présent très structuré, ces effectifs sont très importants environ 900 hommes, répartis sur les cinq camps : le Plo del May où se tient le PC (Poste de Commandement), la Galaube, le Riedgé, le Go de David et le Triby. Ils reçoivent des matériels : armes et munitions, pour parachutages dans des containers métalliques, ainsi que des financements et les instructions par radio, avec des messages codés de l’Etat Major inter-allié à Londres. Tout cela méritait bien une action de propagande de grande envergure, vis à vis de la population locale occupée et surtout de l’ennemi .!.. C’est ainsi que ce vendredi 14 juillet 1944, notre petite cité de Revel a eu le privilège d’assister à un défilé mémorable de plus de 400 hommes, dont le lieutenant Louis Fourcade à la tête de son 5ème escadron, en uniforme bleu foncé et en armes, sur notre "tour de ville" !



Revel - 14 juillet 1944 - 400 hommes du C.F.M.N. font leur entrée dans la ville

Toutes les précautions avaient été prises par les commandants Henri Sévenet, dit "Mathieu", et Roger Mompezat, pour éviter un combat dans la ville. Le secret de cette opération de prestige avait été bien gardé et les allemands ont dû être très surpris de ce déploiement de forces militaires. Mais bien évidemment, ils n’ont pas tardé à réagir ! Dans les jours qui suivirent, vers le 16 juillet, leur Etat Major envoyait chez nous, venant de la région de Bordeaux, où elle venait de se restructurer, une force militaire de très grande importance. Celle-ci était déployée dans le triangle Toulouse, Albi, Carcassonne avec son Etat Major à Revel-saint Ferréol ; il s’agissait de la 11ème Panzer Division de la Wehrmacht (voir Couleur Lauragais n°67 de novembre 2004)

Durs combats
Cette division blindée, forte de 10 à 12 000 hommes, puissamment armée, avait pour mission d’anéantir le C.F.M.N. Ils vont y parvenir, en partie, en utilisant d’importants moyens terrestres et aériens, dans les terribles combats et bombardements du 20 juillet. On déplore de nombreuses pertes dans les rangs des combattants du maquis, dont le commandant Henri Sévenet (30 ans) tué aux premières heures de bombardements des camps. Les forces allemandes, en effectifs et matériels importants : chars, blindés, envahissent très rapidement, pratiquement tout le massif boisé. Comme le C.F.M.N. avait reçu une mission précise de guérilla contre l’ennemi, mais non l’ordre de leur tenir tête, le commandant Mompezat ordonne le décrochage général. Les camions emportent tous les matériels, armes et munitions en état et quelques centaines d’hommes, parmi les blessés et les plus fatigués. Les autres escadrons rejoindront à pied le lieu de rassemblement prévu au Pic de Nore.Le Corps Franc vient de soutenir la plus rude bataille de son existence. Si l’on tient compte des moyens très importants mis en œuvre par l’ennemi : avions mouchards (observation) et de bombardement, artillerie, chars, chenillettes, auto-mitrailleuses et plus de 1 500 fantassins… les pertes du maquis sont de moindre importance. Le Pic de Nore, n’étant pas un refuge sûr pour une troupe de 900 hommes environ, doit être abandonné, avant que les allemands ne l’attaquent en force, en encerclant la montagne. Le Corps Franc se dispersera vers d’autres lieux et autres maquis dans les départements voisins. Le groupe du lieutenant Fourcade, avec quelques hommes retourne vers le maquis de l’Aude du côté du Cabardes d’où il est venu.



Le commandant Roger Montpezat, fondateur du C.F.M.N.
(monument ossuaire à Fontbruno)

Arrestation de Louis Fourcade et d’autres résistants
Lucien Allaux dans son ouvrage : "La 2ème guerre mondiale dans l’Aude" écrit ceci : "…le lieutenant Louis Fourcade s’était rendu le 3 août à la ferme de Pailliés, près de Pradelles-Cabardes, en compagnie du maréchal des logis Nordman et du médecin capitaine Manquéné pour assister à une réunion des commandants d’escadron et des officiers de l’Etat Major du C.F.M.N., qui doit avoir lieu le lendemain. Ils seront de retour le samedi matin 5 août au plus tard. Ce jour-là, à la nuit tombée, ils ne sont pas revenus…". Une dénonciation a certainement mis fin à leurs actions de combattant. "… le 4 août à 6 h du matin, les allemands envahissent la ferme, se saisissent des trois hommes. Ils les poussent dans la cour avec les métayers surpris dans leur sommeil, ils n’avaient pas eu le temps de s’habiller. Placés face au mur, ils sont mis en joue, mais ce n’est qu’une manœuvre d’intimidation. Suit un interrogatoire pour savoir où sont le maquis de la Montagne Noire et ses chefs. Comme ils ne parlent pas, ils sont ligotés et gardés ainsi pendant les journées des 4 et 5 août. Enfin, le 6, la ferme est entièrement pillée, le bétail abattu, les champs saccagés…". Le médecin Manquéné qui est en tenue civile et possède de faux papiers d’identité nie tout et prétend ne rien savoir du maquis. Le lieutenant Fourcade et le maréchal des logis Nordman qui sont en uniforme et en armes, ne font que des réponses évasives ou fausses restant toujours ligotés. Puis les trois hommes sont embarqués dans une camionnette par les allemands qui passent par Mas Cabardès, Saissac, St Ferréol et arrivent enfin à Revel, où ils sont conduits dans une maison transformée en prison. Les jours suivants, autres interrogatoires dont certains très "musclés". Leurs gardiens sont de nationalités et d’humeurs différentes ; à qui hypocritement s’apitoie sur leurs sorts, Fourcade répond sèchement : "…vous faites votre devoir comme nous faisons le nôtre…". Le 10 août, à 13 heures, le lieutenant Fourcade est amené dans une autre pièce, cependant que ses compagnons d’armes vers une camionnette qui contient quelques civils. Avant de monter sur le véhicule, les prisonniers sont alignés dans la cour de l’immeuble ; le lieutenant Fourcade qui a prétexté un besoin à satisfaire, passe devant eux avec un gardien. En repassant, il leur dit à voix basse : "…si vous devez mourir, tâchez de le faire en français !". Un officier de la Feldgendarmerie tire aussitôt son révolver et en menace Fourcade, qui est entraîné brutalement dans sa cellule. C’est la dernière vision qu’ils auront de leur grand ami. Torturé jusqu’à ce que mort s’en suive… sans jamais dévoiler quoi que ce soit sur les hommes et les moyens des maquis. Il aurait été "achevé", à l’entrée de la ville, route de Castelnaudary. Son corps n’a pas été retrouvé, le lieutenant Louis Fourcade dit "Bastia" a disparu à jamais. Certainement le 11 août 1944… Dans la crypte du monument ossuaire du Corps Franc de la Montagne Noire à Fontbruno, inauguré le 20 juillet 1947 par le général De Lattre de Tassigny, son tombeau est désespérement vide.

Jacques Batigne



A droite, le tombeau de Louis Fourcade
dans la crypte du monument ossuaire de Fontbruno


Un square à St Ferréol, près de la chapelle,
porte en souvenir le nom de ce
très jeune résistant mort pour la France.

Crédit photos : Collection J. Batigne

A lire : un excellent ouvrage "Le journal de marche - avril, septembre 1944 du C.F.M.N."

* Chantiers de la jeunesse : genre de scoutisme institué sous le "régime de Vichy", pour former et encadrer militairement (sans armes) les jeunes gens. Ils étaient employés à des tâches forestières chez nous, notamment dans les camps de la Galaube, du Plo del May et du Riedgé dans la Montagne Noire.

Couleur Lauragais n°77 - Novembre 2005