accueil
Couleur Lauragais : les journaux
Histoire

Badera (Baziège), vieille cité gallo-romaine

Toulouse était la capitale du peuple gaulois les Volques Tectosages qui occupaient le territoire s’étendant de Toulouse à Narbonne. Ils ont vraisemblablement aménagé une piste empruntant, à l’Est de Toulouse, les vallées de l’Hers et du Marès jusqu’à Naurouze et au delà de Carcassonne.

L’arrivée des romains en 118 avant Jésus-Christ
L’expansion romaine, aux 2ème et 1er siècles avant J.C. conduit les légions en Espagne (par la mer) et par voie terrestre. Les Romains occupent les régions gauloises voisines de la Méditerranée, de Marseille, Narbonne, Perpignan.
C’est en 118 que les Romains occupent Narbonne et pour faire face à une possible contre offensive gauloise venant de Carcassonne, la même année, en 118, les légions s’installent à Toulouse. C’était aussi une base de départ pour la conquête ultérieure de la Gascogne, jusqu’à Bordeaux, un peu plus tard, de 58 à 52 avant J.C.



La voie romaine traverse
le village de Baziège
Crédit photo : Couleur Média


Les voies romaines sont toujours là
L’un des premiers soins des Romains est de construire des routes utilisables en toutes saisons par leurs armées. Ce sont les célèbres voies romaines dont la solidité extraordinaire les feront perdurer durant des di-zaines de siècles, voire pour certaines deux mille ans. Très épaisses (un mètre) véritables murs enterrés, ces légendaires voies sont toujours là, avec des restes prestigieux entre Baziège et Montgiscard par exemple. Autour de Toulouse, cinq grandes routes rayonnent du Comminges (Lugdunum Convenarum) et de Dax, à l’Ouest la route d’Auch, au Nord-Ouest celle de Lectoure, au Nord celle de Cahors. D’autres routes de pénétration moins importantes devaient remonter les vallées du Tarn et de l’Ariège.

Le tracé de la voie d’Aquitaine
La voie d’Aquitaine ou route de Narbonne, fut à toutes les époques, l’artère maîtresse du réseau toulousain. Route de "l’isthme gaulois", unissant la Méditerranée à l’Océan, elle avait été la route de la conquête volque, celle de la conquête romaine, puis de la pénétration économique et civilisatrice de Rome. Elle resta, sous l’Empire, la grande voie de liaison avec la capitale provinciale, Narbonne, et par delà, avec Rome et le monde méditerranéen.
De la porte Narbonnaise, à Toulouse, jusqu’à l’Est de Bram, son tracé est aisé à reconstituer. Il coïncide en gros avec la route nationale 113, sauf entre Baziège et Montgiscard ou entre Castel-naudary et Bram. On a retrouvé la chaussée romaine dans la traversée de Ramonville Saint-Agne (lieu dit la Peyrade), sur plus de deux kilomètres entre Pompertuzat et Deyme, après Baziège, vers l’Est, et jusqu’à Naurouze la voie court légèrement au Nord de la 113 (Baccrabère l’a reconstituée sur 1 km entre Baziège et Villenouvelle, à 50 m au Nord de la nationale, vers Avignonet 150 m au Nord.
Au Pas de Naurouze, à 44 km de Toulouse, se terminait au 4ème siècle la première journée d’un voyage de Toulouse à Narbonne et les voyageurs atteignaient là un gîte d’étape, Eludiodunum, actuellement Saint Pierre d’Alzonne, au pied de la colline de Montferrand, où des fouilles ont révélé un ensemble important de bâtiments romains, des thermes, une basilique, une nécropole. Après Naurouze et jusqu’aux environs de Castelnaudary, la voie devait toujours suivre la 113 (appelée au 18ème siècle, l’ancien cami francès) où elle sert de limite communale entre le Mas Saintes Puelles et Ricaud, une station devait se trouver sur l’emplacement du Grand Bassin. Au delà la voie romaine coïncide avec le CD 33 entre Castelnaudary et Bram par Pexiora, à la limite de la commune de Bram et de Montréal, qui fut jusqu’à la Révolution celle des diocèses de Saint Papoul et de Carcassonne, la route romaine quittait le Lauragais pour entrer dans la province de Narbonne.

Les bornes milliaires
Les Romains plaçaient sur les bords de la voie des bornes tous les mille pas d’où le nom de bornes milliaires (un pas romain = 1,481 mètre, un mille = 1481 mètres). Nous avons conservé près de Baziège trois de ces mégalithes. Par contre, ceux qui étaient à Villenouvelle sont au musée Saint Raymond (à Toulouse). Le milliaire de Montgaillard est sur la place à l’Est du village où il sert de support à une croix catholique, celui d’Ayguesvives est un énorme fragment de co-lonne (c’est le plus gros de tous les milliaires de la voie d’Aquitaine) renversé, placé au chevet extérieur de l’abside de l’église, trois inscriptions latines sont dédiées à des empereurs (Valérius Constantin, Flavius Valentinien, Flavius Théodose), l’une est datée 307-310 après J.C, la seconde 383-388, la troisième 388-392. Le milliaire de Baziège est conservé dans l’église sous le nom de "la Sainte Pierre", haut de 167 m, le nombre XV (15ème mille depuis Toulouse) correspond bien à la distance séparant Badera de Toulouse. Les inscriptions sont aussi dédiées à des empereurs romains, avec des dates 305-311 et 335-337.


Borne milliaire anciennement sur la voie romaine qui se trouve dans l'église

La voie reliait plusieurs agglomérations importantes : Badera (Baziège), Elusiodunum (Saint Pierre d’Alzonne, Montferrand), Sostomagus (Castelnaudary), Eburomagus (Bram). Quelques remarques sur Baziège, le village est construit sur les premières pentes du versant Nord de la gouttière de l’Hers vieux, entouré à l’Est, au Sud et à l’Ouest par une demi-ceinture de marécages. La localité, à l’époque gallo-romaine correspond à la station de Bad (trois lettres seulement) sur la Table de Peutinger (il s’agit d’une carte gallo-romaine) à 15 milles de Toulouse, les copies anciennes donnent Badéra, qui est généralement accepté. Au 9ème siècle, en 844, c’est la forme médiévale qui ap-parait avec : "in saltu Vadégiaco" ; le toponyme est certainement d’origine antique et contient la finale gauloise egia ; le premier élément, tenu pour obscur, pourrait s’apparenter au latin vadum-gué, qui se retrouve dans le nom toulousain du Bazacle = vadaculum, le petit gué. Or, un gué existe bel et bien sur l’Hers, à Baziège.

La voie romaine entre Baziège et Montgiscard : un trésor archéologique sous les ronces
Entre Baziège et Montgiscard, la voie traverse la gouttière de l’Hers, soit une dépression naturelle dans la molasse avec sans doute des cassures, donnant ainsi un petit bassin d’effondrement (voir J. Odol : Toponymie et gouttière de l’Hers - CCL 1992). Cette gouttière était un immense marécage boisé avec la célèbre forêt de Baziège, des milliers d’hectares depuis Montlaur, jusqu’à Avignonet où, au 9ème siècle, on chassait l’auroch (boeuf sauvage). C’est Louis XI qui commence à défricher "les labours du roi" puis Catherine de Médicis, enfin au 18ème siècle la canalisation de l’Hers fait disparaître les derniers bois (sauf à Saint-Rome).
Ici, premier et bien difficile problème : les Romains construisirent la voie au milieu des marais, dans une région où la gouttière est au maximum de sa largeur et avec une pente quasi nulle. Les marais, malgré de nombreux travaux ne disparaîtront que vers 1850. En 1847 une maladie mystérieuse décime les populations de Baziège, Montgiscard et surtout Ayguesvives, avec une cinquantaine de victimes, les "fièvres paludéennes", dit-on. Il y a toujours des traces visibles de ces marais sous forme de sols noirs, à la texture très spéciale qui donne des réseaux de fissures très spécifiques en été, il s’agit de fonds de marécages, de boues et de vases. Pourquoi les Romains ont ils choisi ce tracé ? A notre avis, une seule explication : le gué sur l’Hers vieux, qui permettait un passage relativement aisé. Il existe en ce point précis plusieurs lentilles de grès dur sous le pont (dont les piles seraient romaines, selon Dutil) du CD 24. D’autres tracés étaient possibles : du côté de Gardouch par exemple, pour traverser les vallées de l’Hers et du Marès, peut être ont-ils souhaité que leur voie gagne une agglomération pré-romaine, à l’ouest de Baziège, en direction de la station d’épuration et de l’ancien abattoir, où l’on a découvert un puits funéraire gaulois (du 4ème siècle avant J.C.) donc bien antérieur aux Romains.



Le gué sur l'Hers : le pont des Romains

Les Pountils en voie de démolition
La voie romaine est construite sur de petits ponts, des ponceaux, des pountils en languedocien, et nous l’appelons couramment "les pountils". Ces petits ponts (une quinzaine au total) sont souvent très proches les uns des autres dans la zone la plus basse. Ils mesurent 4 mètres de large et la chaussée est à 2 mètres au dessus des terres anciennement marécageuses.
Autre singularité, le tracé en long n’est pas rectiligne mais sinueux. Les pountils sont en belles briques foraines, avec de très beaux arcs s’appuyant sur de lourds piliers. Dans cette forme, il semble, d’après l’Abbé Duffaut, que ces briques datent de Colbert (nous avons le bail à besogne de cette époque). Les fondations seraient romaines, ce que des fouilles permettraient de vérifier. Car tout cela, ce magnifique ensemble archéologique, cette célébrissime voie d’Aquitaine, est laissée dans un abandon total et combien regrettable, des monceaux de ronces, des forêts de buissons occultent complètement les petits ponts. Un modeste panneau, à Baziège indique bien "Chemin des Romains" mais sans le moindre commentaire explicatif. Sous la chaussée empruntée par les légionnaires de Jules César, les piliers se dégradent sérieusement. Pour couper les herbes, les machines pulvérisent les briques. Le chemin des Romains est en cours de démolition.



Les pountils sous le chemin des Romains

Au premier siècle avant Jésus Christ, Badera a été un marché important des vins d’Italie. Des monceaux de débris d’amphores vinaires Italiques ont été découverts à l’Ouest du cimetière, témoignant d’un puissant commerce. D’après Labrousse, les convois quittaient la via aquitania à Baziège et, par Caraman, gagnaient les pays des Cadurques et des Ruthènes (peuples gaulois). Baziège est un carrefour de routes d’où sa fonction fondamentale : un marché et cela jusqu’en 2005. A partir de 1005 c’est un marché quotidien au sel venant de Narbonne, qui perdure plusieurs siècles. Un marché aux coques de pastel avec un grand marchand pastelier qui s’appelait Aymeric Tiera qui a laissé son nom à la borde "en Tière" près de Lastours. Enfin Baziège est un énorme marché au blé depuis 1681 (ouverture du Canal du Midi) jusqu’en 1975 (abandon du Canal) avec son propre port sur la voie d’eau de Riquet, au lieu dit les Landes.

Jean ODOL

Bibliographie :
M. Labrousse : "Toulouse antique" - Toulouse 1965
Abbé Duffaut : "Histoire du fief de Roqueville" 1903
J. Odol : "Toponymie et gouttière de l’Hers" CCL 1992

Crédit photos : Jean Odol.

Couleur Lauragais n°75 - Septembre 2005