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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Les sculptures du Maître de Cabestany à Saint Papoul

Au cœur du Lauragais, à 8 km de Castelnaudary, se dresse le village médiéval de Saint-Papoul. L’abbaye, ensemble classé monument historique, présente une architecture et un décor architectural exceptionnels. C’est ici, que le génie du Maître de Cabestany s’est manifesté. En effet, le chevet de l’église abbatiale possède l’ensemble monumental le plus important du Maître de Cabestany.

 

Le chevet de
l'Abbaye de Saint Papoul
Crédit photo : Mairie de
Saint Papoul

   

Qui est le Maître de Cabestany ?
L’auteur du tympan de Cabestany (Pyrénées orientales) implique une formation, un atelier plutôt qu’un "artiste" médiéval indépendant.
Cet artiste du XIIème siècle n’existe que par les qualités plastiques et stylistiques que nous retrouvons tout au long d’un chemin traversant le Languedoc (Saint-Papoul, Rieux-Minervois, Lagrasse, Saint-Hilaire, Narbonne), le Roussillon (Cabestany, Le Boulou, le Monastir del Camp a Passa), la Catalogne (El Port de la Selva, Gérone, Sant Esteve d’En Bas), la Navarre (Errondo et Villaveta) et même en Italie (Abbaye de Sant’Antimo, San Cas-ciano Val dei Pesa, Prato en Toscane).
Ce sculpteur ou plutôt cette école de sculpteurs semble avoir eu une aura importante dans le monde stylistique roman.
Dans un premier temps, nous allons découvrir les indices que nous a transmis le maître.

Les indices stylistiques
Le style du maître, si original, le distingue de tous les autres sculpteurs de son époque et révèle une personnalité forte et originale que l’on retrouve dans toutes ses œuvres.
Il excelle dans la qualité des compositions par des mises en scène de personnages aux gestes variés, aux expressions marquées.
Il se reconnaît ensuite par le canon des corps ; les mains des personnages sont immenses, les doigts sont alignés et serrés. Les mains soulignent les gestes et les attitudes des acteurs principaux des scènes.
Les visages peuvent être sereins ou terrifiants mais toujours construits de la même manière, dans un dièdre géométrique dont l’arête centrale est celle du nez, le front est bas et le menton quasi inexistant. Le traitement de l’œil est certainement une caractéristique les plus nette : une amande allongée où la pupille est mise en évidence par deux trous de trépans qui l’encadrent.
Un autre caractère qui donne son importance au Maître de Cabestany et qui révèle son talent et sa pleine appartenance à l’époque romane est sa relation évidente à l’art de l’Antiquité romaine. On pense aux sculptures des sarcophages du bas empire (les visages, les drapés, les attitudes et son répertoire ornemental). Toutes ces techniques sont réinterprétées de manière typiquement romane.
C’est dans ce cadre, à travers ces indices que nous retrouvons les œuvres du Maître à Saint-Papoul.


Le Maître de Cabestany à Saint-Papoul
L’abbaye de Saint-Papoul représente le site le plus à l’ouest du terrain d’activité du Maître. Le chevet de l’église abbatiale que l’on connaît actuellement est une construction du XIIème siècle. C’est à cet endroit que se situe le décor sculpté du Maître de Cabestany, un motif de cordage porté par six colonnes engagées couronnées de chapiteaux et rythmé par vingt-six modillons(1).
Six chapiteaux non-historiés présentent des accents de l’art toulousain et roussillonnais.
Au nord, le chapiteau présente une scène de lions dressés sur leurs pattes arrières, leurs têtes forment les angles. Les deux autres sont des dérivés du corinthien.
Au sud, le premier montre à nouveau une scène de lions. Ici, ce sont des gueules de lion dévorant un autre animal. Le second est composé de feuilles d’acanthe lisses et le dernier présente le type des acéphales joueurs de trompes que l’on retrouve aussi à Rieux, Monastir del Camp et à Lagrasse.
Les deux chapiteaux historiés illustrent l’épisode biblique de Daniel dans la fosse aux lions. Sur le chapiteau de Daniel, le prophète est représenté de trois quarts, se tournant vers Habacuc qui lui apporte de la nourriture entouré de sept lions. Cette scène se rapproche étroitement de celle que l’on voit sur le chapiteau de Sant’Antimo en Toscane.

Le second chapiteau représente la scène du châtiment des babyloniens. Trois babyloniens sont assaillis par des lions, l’un d’entre eux a saisi et entraîne un des accusateurs de Daniel retenu par un de ses compagnons.

Le châtiment des babyloniens
Crédit photo : Mairie de Saint Papoul


La série des modillons est incomplète, six d’entre eux ont été détruits aux XVIIIème siècle, lors des travaux d’ouverture des baies pour éclairer le chœur.
Les vingt-deux modillons restants sont de la même facture, ils sont en forme de console, bordés d’une frise de vo-lutes en arc de cercle et portent chacun une représentation humaine ou animale.
La sculpture y est exécutée avec une adresse incomparable. Les têtes humaines appartiennent à des personnages masculins aux moustaches et barbes exagérées, aux chevelures épaisses et frisées. Les visages sont déformés en amande. Les représentations animalières sont souvent effrayantes, les lions ont la gueule ouverte et la langue pendante…

L’Iconographie
Les deux chapiteaux historiés relatent le passage de l’Ancien Testament, Daniel livre 14.
Le chapiteau de Daniel présente la scène où le prophète Habacuc, transporté par l’ange du Seigneur, apporte un repas à Daniel dans la fosse aux lions pour lui démontrer que Dieu ne l’a pas abandonné. Habacuc dit "Daniel, Daniel, prends le repas que Dieu t’a envoyé" (Dn. 14, 37). Les lions qui entourent Daniel sont domestiqués au point de le lécher pour témoigner leur soumission.

Le prophète Daniel
Crédit photo : Mairie de Saint Papoul


Le chapiteau du châtiment des Babyloniens : Au bout du septième jour, le Roi venu pleurer Daniel, le découvre vivant dans la fosse. "Il le retira de là…quant aux responsables de sa perte, il les fit jeter dans la fosse et ils furent aussitôt dévorés en sa présence" (Dn 14, 42).
Sur le chapiteau, les Babyloniens sont livrés en pâture aux lions devenus féroces.
Dans l’ouvrage " Le Maître de Cabestany " des éditions Zodiaque, Marco Burrini interprète Daniel comme une figure christique. Jésus (Dieu fait homme), passe lui aussi par cette lutte contre le mal, la fosse aux lions symbolise l’enfer.
Burrini s’appuie aussi sur les commentaires de saint Augustin qui expliquent que Daniel est le symbole de la vie monastique : "Il servit Dieu dans le célibat…et confronté à de nombreuses épreuves, et en sortit indemne" ; ainsi, cette scène est représentée fréquemment dans les abbayes.

Les modifications et les restaurations du chevet
Au XVIIIème siècle, le chapitre de l’abbaye de Saint-Papoul décida de percer le chevet de baies remplaçant les originelles à un niveau plus élevé, à la base de la voûte, empiétant ainsi sur la toiture.
Ce rehaussement des baies permit aussi l’installation des stalles et l’éclaircissement de l’ensemble du chœur. Ces travaux furent à l’origine de la disparition de certains modillons, et d’une curieuse silhouette du chevet.
C’est dans les années 1940 que les baies trouvèrent à nouveau leur emplacement et que la toiture fut restaurée. En effet, le chœur bénéficiait d’une couverture exceptionnelle faite de dalles de pierre sculptées d’imbrications en troncs de cône. Les modillons disparus furent remplacés par une simple pierre de taille.
Aujourd’hui, nous retrouvons de manière anecdotique le remploi (2) d’un modillon du Maître de Cabestany sur la façade d’une maison du village.

Le remploi d'un modillon
Crédit photo : Mairie de Saint Papoul


Ainsi le Maître de Cabestany aura laissé une empreinte importante dans l’histoire architecturale et artistique de Saint-Papoul. Qu’il s’agisse d’un seul homme ou d’un atelier, les sculptures produites intriguent et intrigueront pendant longtemps de nombreux chercheurs et historiens de l’art.
Une exposition permanente située dans l’ancien réfectoire des moines de l’abbaye de Saint-Papoul est dédiée à l’ensemble de l’œuvre du Maître de Cabestany sous forme de moulages des sculptures retrouvées en France, en Catalogne et en Italie.

Marie ROBART

(1) Modillon : ornement saillant répété de proche en proche sous une corniche, comme s’il la soutenait.
(2) Remploi : Mise en œuvre, dans une construction, d’éléments, de matériaux, provenant d’une construction antérieure

Bibliographie et sources :
A.Bonnery, M. Burrini, J. Camps i Sofia, I. Lores i Otzet, G. Mallet, O. Poisson, F. Saunier, Le Maître de Cabestany, coll. " La Voie Lactée" , éd. Zodiaque, 1999.
J. Odol, G. Jungblut, L’abbaye de Saint-Papoul, éd. Stéphan Arcos, Toulouse, 1995.

Couleur Lauragais n°73 - Juin 2005