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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Une guerre oubliée : l'Espagne de 1936 à 1939

De nombreux descendants d’Espagnols réfugiés en France en janvier-février 1939 peuplent aujourd’hui le Lauragais et la région toulousaine. 500 000 hommes, femmes et enfants passèrent le Perthus durant l’hiver de 1939, 50 000 sont demeurés à Toulouse. A Bram et au Vernet, les deux tristement célèbres camps de concentration où des milliers de soldats furent internés. Couleur Lauragais a rencontré, à Baziège, un ancien combattant républicain, et son épouse, rescapée de Guernica.
Une étude, même sommaire, de la guerre d’Espagne est indispensable pour comprendre les victoires allemandes de 1939 à février 1943 qui donnèrent toute l’Europe à Hitler, depuis Brest jusqu’à Stalingrad, du Nord de la Norvège à la Grèce, et en Afrique de Tunis jusqu’à Alexandrie d’Egypte. C’est en Espagne que le matériel allemand a été expérimenté, que les méthodes d’attaques massives de blindés et d’avions d’assaut sont mises au point (en 1938). Les blindés allemands occupent Madrid en mars 39, les mêmes, le 14 juin 1940, défilent sur les Champs Elysées, à Paris.
Les lignes qui suivent sont dédiées à la mémoire des 200 soldats républicains espagnols qui ont vécu de 1940 à 1941 au moulin de Ticaille, Ayguesvives ; les deux officiers catalans qui les encadraient prenaient le repas du soir à la table familiale et couchaient dans une de nos chambres ; je leur suis très reconnaissant de m’avoir appris quelques mots d’espagnol.

Le camp du Vernet


L’Espagne, en 1936, un état féodal
En 1931-36 l’Espagne est un pays économiquement très en retard sur les autres pays européens ; deux régions seulement ont une importante industrie : la Catalogne et le Pays Basque (Bilbao). Ailleurs, l’agriculture est entre les mains de très grands propriétaires, un duc possède 15 000 hectares, à côté un prolétariat rural misérable, sans terre, sans travail durant plusieurs mois de l’année, la misère est effroyable, dénoncée dans les films de Luis Bunuel. Une bourgeoisie s’est développée dans les villes comme Madrid, Bilbao, Barcelone. L’Eglise catholique est im-mensément riche, avec des évêques de combat. L’un d’eux s’écrie : "bénis soient les canons si dans leurs brêches fleurit l’Evangile". Une élite intellectuelle très brillante s’est développée à Barcelone (Pablo Casals, Picasso), à Grenade (Fédérico Garcia Lorca), à Salamanque (Unamuno). Après la dictature du Général Primo de Rivera, des élections municipales, en 1931, chassent le Roi Alphonse XIII et la Seconde République est proclamée. Une période très agitée se développe ensuite jusqu’en 1936 : complots militaires, soulèvement des mineurs des Asturies. En 1936 des élections législatives donnent de justesse la victoire au Front Populaire, une coalition d’anarchistes (très puissants), communistes (une infime minorité), socialistes (contrôlant le principal syndicat UGT), radicaux, républicains modérés, l’agitation redouble : grèves, assassinats politiques. Le 18 juillet 1936 le Général Franco lance une insurrection dirigée contre le gouvernement républicain en s’appuyant sur l’armée, la Phalange (parti fasciste), les grands propriétaires, l’Eglise.

Le moulin de Ticaille où se réfugièrent
des centaines d'espagnols

Une guerre atroce
Les débuts de la guerre (juillet-novembre 1936) sont marqués par des atrocités réciproques, une sorte de férocité, qui voit la Terreur rouge répondre à la Terreur blanche, diffuse dans tout le pays : 200 000 victimes en quelques semaines, un bain de sang. Tous les chiffres avancés sont certainement faux, comme en témoigne, en 2003 la découverte tardive d’une fosse commune, dans les Asturies, renfermant les restes de dizaines de victimes des franquistes, des milliers de prêtres sont fusillés, des religieux, des propriétaires, en face des milliers d’ouvriers, de brassiers, des intellec-tuels : Frédérico Garcia Lorca est exécuté à Grenade, dans "sa" Grenade. Au total la guerre fera 600 000 victimes, civiles et militaires. Un historien récent, Benassar, écrit en 2004 : "la guerre est une tragédie, la porte de l’enfer". Le soulèvement de l’armée a échoué dans les principales villes, comme Madrid, Barcelone, Bilbao, Malaga. Une guerre de 3 ans oppose l’armée traditionnelle à l’armée de la République, nombreuse, formée de miliciens sans expérience, indisciplinés, politisés (avec des divisions anarchistes, communistes) très courageux, écrasés par l’aviation allemande et les techniciens franquistes.

L’intervention des puissances étrangères : Allemagne, Italie, Union Soviétique
Malgré un accord de non intervention entre les grandes puissances et la SDN (Société des Nations, ancêtre de l’ONU) les pays étrangers interviennent. L’Allemagne envoie un très remarquable corps expéditionnaire : la Légion Kondor. Depuis 1933, Hitler est au pouvoir et prépare activement la guerre contre les démocraties, les usines d’armement sortent de nouveaux matériels et les expérimentent en Espagne contre les républicains. L’Espagne devient le prélude de la seconde guerre mondiale. Les nazis testent le canon de 88 mm (antiaérien et antichar), les canons sur affût quadruple de 20 mm, pour les blindés les modèles PZ 1, PZ2 (trop légers) PZ3 et PZ4 (en usage jusqu’en 1943). Pour les avions, essais des premiers chasseurs Messerschmitt 109, des Heinkel 111, des bombardiers en piqué : Junkers 87 (ou Stukas), mise au point de grandes offensives avec concentration et percée des blindés, puis exploitation par la cavalerie franquiste. Ce matériel se heurte aux engins soviétiques souvent supérieurs (au début de la guerre) comme le char T 26 et son canon de 45 mm, très supérieur au PZ1 et 2, mais surclassés par les PZ3 et surtout 4. Les avions soviétiques Poli-karpov 1-15 et 1-16 tiennent la dragée haute aux 109. Les Soviétiques sont peu nombreux 2 à 3000, des officiers, des techniciens, des pilotes. Les Italiens envoient 60 000 hommes, des divisions d’élite : "Littorio", les "Flammes Noires", une puissante aviation qui depuis les Baléares franquistes écrasent la population civile de Barcelone sans défense antiaérienne, même le pape protestera... La France n’intervient pas directement, cependant elle laisse passer des avions et des pilotes comme André Malraux et son escadrille Espana, surtout elle envoie des volontaires (10 000) aux Brigades Internationales. Le Komintern (l’internationale communiste) organise ces brigades (40 000 hommes) qui sont engagées dans la défense de Madrid (automne 36). Ils seront de toutes les batailles et subissent de très lourdes pertes. Quelques tombes de brigadistes sont conservées au cimetière du camp du Vernet où ils étaient internés, avec des Américains, des Arméniens, des Allemands antinazis, des Italiens antifascistes, un chinois, ils parlaient 53 langues !

Raimon Gallur de Baziège était à la Bataille de l’Ebre (1938), la plus importante de la guerre
Nous avons rencontré un ancien soldat républicain, à Baziège, Raymond Gallur, pâtissier de profession, pour qu’il nous raconte la bataille la plus célèbre, la plus spectaculaire de la guerre : "L’Ebre". Né à Barcelone, il avait 20 ans en 1936 et participe à tous les combats, avec son frère, surtout sur le front d’Aragon. Il est blessé à la jambe le 16 juin 1937 près de Huesca et depuis, il a de grosses difficultés pour marcher. Sa mémoire est entière, extraordinaire de précision et de vie, avec un accent catalan bien accentué, il nous fait revivre cette épopée tragique qui se termine par un échec républicain.
Barcelone était coupée de Valence depuis que les franquistes avaient atteint la mer à Vinaroz. Pour tenter de relier les deux villes, les républicains prennent l’offensive durant l’été 1938, concentrant habilement leurs meilleures divisions ils réussissent à traverser l’Ebre, fleuve cependant de largeur imposante.
Laissons parler Raymond : "je faisais partie du 18ème corps d’armée, 27ème division, 121ème brigade mixte. A notre gauche, les troupes de Modesto, à droite, celles de Lister. Nous traversâmes l’Ebre la nuit, sur des radeaux, sans préparation d’artillerie, près du village de Benisanet. Plus tard le génie construit un pont de bateaux sur lequel passèrent les chars. Nous avançons rapidement en direction de Gandesa. Les franquistes réagissent rapidement en faisant intervenir l’aviation allemande de la Kondor, puis leurs contre attaques se heurtent à la résistance farouche des républicains. Raymond est resté 42 jours dans une tranchée pour défendre une colline qu’il devra finalement abandonner. Il avait faim et il mangea à plusieurs reprise des "feuilles" ? L’intensité des tirs de l’artillerie franquiste était terrible et finalement, le 15 novembre 1938 Raymond repasse sur la rive gauche de l’Ebre. Les pertes étaient énormes. La meilleure armée républicaine était très affaiblie par les pertes surtout en matériel. Franco a reçu de nombreux chars et avions allemands et il lance une très violente offensive, avec 500 avions contre 80, le 23 décembre 1938.
Le front républicain s’effondre, la Catalogne est balayée en quelques semaines. 500 000 Aragonais et Catalans fuient vers la France. Barcelone tombe le 26 janvier, Ma-drid en mars 39. Raymond est un merveilleux conteur qui nous fait revivre intensément ses terribles souffrances, mais encore la peur des civils, des femmes et des enfants qui s’écrasent dans les fossés lorsqu’ils sont mitraillés par les avions nazis".

Une rescapée de Guernica (26 avril 1937), l’épouse de Raymond
De 16h30 À 18h, le 26 avril 1937, en lâchant des milliers de bombes incendiaires, les avions de la légion Kondor détruisent la petite ville de Guernica, au Sud de Bilbao. Cette ville était le symbole des libertés basques, avec son chêne sacré sous lequel les rois d’Espagne prêtaient serment de respecter les privilèges (fueros) du Pays Basque. Les bombes incendiaires étaient une arme nouvelle, utilisée pour la première fois par les Allemands qui souhaitaient terroriser la population civile républicaine. Plus tard, d’autres bombardements de ce type suivront : Rotterdam, Londres et Coventry, Berlin (par les Anglais), surtout Dresde (par les Américains), enfin Iroshima en août 1945.
La femme de Raymond Gallur était à Guernica lors du bombardement, elle garde le souvenir du passage régulier des vagues d’avions et surtout le spectacle dantesque de l’incendie de la ville. Avec une copine, elle s’était réfugiée auprès d’une nappe d’eau (un étang ?) car elles croyaient que "les bombes n’éclataient pas lorsqu’elles tombaient dans l’eau".

La guerre d’Espagne a fait la une des journaux et de la télévision française en 2004, au mois de juin ; on a revu la Libération de Paris le 25 août 1944, les premiers chars de la 2ème DB de Leclerc arrivent devant l’Hôtel de Ville, commandés par le capitaine Dronne et ils s’appelaient "Guadalajara", "Teruel", "Belchite", "Ebro". Ils étaient conduits par d’anciens soldats républicains espagnols.

Jean ODOL

Bibliographie : B. Bennassar :
"La guerre d’Espagne" novembre 2004


crédit photos : J. Odol

Couleur Lauragais n°70 - Mars 2005