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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

L’acte de naissance des évêchés Cathares
La charte de Niquinta, Saint-Félix, 1167

Une charte est un document écrit au 12ème siècle sur du parchemin et rédigé en latin. Niquinta est un dignitaire bogomile (synonyme de cathare) venu de Constantinople et qui préside le Rassemblement de plusieurs centaines de Parfaits à Saint-Félix en 1167. Au cours de la réunion sont créés quatre évêchés, ceux d’Agen, Toulouse, Albi et Carcassonne. Un cinquième apparaîtra plus tard en 1226, à Pieusse, près de Limoux. Un procès verbal du Rassemblement est dressé : c’est la Charte de Niquinta, c’est à dire l’acte fondateur du catharisme occitan organisé en contre-Eglise, face à l’Eglise romaine. Les historiens utilisent aussi le terme Nicétas pour désigner le même personnage que Niquinta.


Vue aérienne de Saint Félix
Crédit photo : Cliché Jean-Luc Sarda - Revel - Collection Office de Tourisme Saint Félix

Quelques généralités sur le catharisme et l’histoire des cathares (1000-1350)
Le catharisme est actuellement très bien connu après la publication de nombreux documents hérétiques, comme le Livre des Deux Principes de Jean de Lugio, par la traduction de nombreux ouvrages anti-cathares comme les Sommes des Dominicains italiens du 13ème siècle (la plus connue est celle de Rainier Sacconi). La traduction par Jean Duvernoy des registres d’interrogatoires de l’Inquisition catholique a permis d’éclairer brillamment la religion cathare et toutes les zones d’ombre ont disparu. Par exemple, le registre de Jacques Fournier, né à Canté près de Cintegabelle, moine cistercien à Boul-bonne, évêque de Pamiers, pape d’Avignon nous fait revivre la société cathare de Montaillou (au Nord d’Ax-les-Thermes), la noblesse et les bergers.

Le catharisme est une religion chrétienne qui se détache du catholicisme à partir de l’An 1000 et qui perdure jusqu’en 1350. C’est une religion dualiste avec deux grands Principes Créateurs, le Bien et le Mal, le livre sacré est l’Evangile selon Saint Jean. Les Deux principes sont représentés l’un par une réalité spirituelle, invisible, incorruptible et éternelle : c’est le royaume du Dieu Bon, et l’autre par une réalité matérielle et temporelle, le Monde visible, transitoire où le Mal se manifeste. Plus simplement l’Enfer nous entoure, et le Paradis débute après la mort. Un seul sacrement pour les cathares : le consolamentum, par imposition des mains, comme dans le christianisme des premiers siècles. Ceux qui ont reçu le Sacrement sont des Parfaits et les femmes des Parfaites. Ils mènent une vie très austère alors que les Croyants ne se distinguent pas des autres membres de la population. Les cathares sont très nombreux en Lauragais : d’après les spécialistes, 50% de la population est cathare, ailleurs ils sont très minoritaires.
Le catharisme est une religion européenne qui se développe en Occitanie, en France (en Bourgogne), dans la vallée du Rhin, surtout en Italie du Nord (plaine du Pô), dans les Balkans notamment dans la région de Sarajevo où le catharisme a été religion d’Etat pendant deux siècles. Il y persistera jusqu’en 1460, date de la conquête par les Turcs et la pénétration de l’Islam.
L’histoire des cathares se déroule sur plusieurs siècles. Un premier bûcher à Tou-louse et surtout à Orléans en 1022, les derniers cathares occitans sont brûlés en 1329 à Carcassonne. Dans les Balkans la nouvelle religion persiste jusqu’en 1460.

Les progrès du catharisme en Occitanie et en Lauragais
Etudions rapidement quelques jalons chronologiques pour bien situer Saint-Félix. A Verfeil, une des portes du Lauragais, en 1145, le grand Saint Bernard est venu prêcher contre les hérétiques. Malgré son immense prestige, lorsqu’il est dans l’église, il est l’objet de violentes manifestations d’hostilité, la noblesse quitte l’édifice, suivie de toute la population. C’est pour ce Saint, le plus grand esprit du 12ème siècle, un échec cuisant. Un village voisin prendra ensuite le nom de Bourg-Saint-Bernard.

En 1165 une dispute oppose à Lombers des théologiens cathares aux catholiques. Lombers est un village situé à 15 km au Sud d’Albi. Dans l’assistance, notons des personnages illustres comme la comtesse de Toulouse, Constance de France (soeur du roi) et le vicomte de Carcassonne Trencavel. Les cathares sont condamnés par les arbitres de ce célèbre colloque. Le catharisme était en plein essor à cette date. L’apogée de la religion se place plus tard, vers 1206-1208, lorsque le grand Saint Dominique s’installe à Fanjeaux, autre village lauragais et haut lieu du catharisme et des Dominicaines. En 1209 débute la Croisade contre les Cathares (1209-1229) et le déclin du catharisme.
Saint Félix se place dans une phase de développement, en plein essor de la religion nouvelle.
Emplacement du rassemblement
cathare de Saint Félix (1167)

Crédit photo : Collection
Communaurté de Communes
Lauragais, Revel et Sorèzois

1167 - La charte de Niquinta
Elle est publiée pour la première fois par un historien en 1660, dans une histoire des Ducs de Narbonne, appelé Guillaume Besse, par ailleurs un historien pratiquement inconnu.
Voici le texte de la charte, traduction Jean Duvernoy :
Les actes qui nous sont parvenus par une copie vue par Guillaume Besse au XVIIème siècle comportent ainsi une notice et une charte de délimitation après arbitrage :
"En 1167 de l’Incarnation du Seigneur, au mois de mai, en ces jours-là l’Eglise de Toulouse amena le Pape (ou le Père) Nicétas au château de Saint-Félix, et une grande multitude d’hommes et de femmes de l’Eglise de Toulouse et des autres Eglises voisines s’y réunit pour recevoir le consolamentum que Monseigneur le Pape Nicétas se mit à conférer.
Ensuite Robert d’Epernon, évêque de l’Eglise des Français vint avec son conseil. Marc de Lombardie vint de même avec son conseil. Sicard Cellerier évêque de l’Eglise d’Albi, vint avec son conseil. Bernard Cathala vint avec le conseil de l’Eglise de Carcassonne, et le conseil de l’Eglise d’Agen fut là.
Tous réunis de façon innombrable, les hommes de l’Eglise de Toulouse voulurent avoir un évêque, et élirent Bernard Raimond. De même Bernard Cathala et le conseil de l’Eglise de Carcassonne, requis et invités par l’Eglise de Toulouse, et de l’avis, la volonté et la décision de Monseigneur Sicard Cellerier, élirent Guiraud Mercier. Les hommes d’Agenais élirent Raimond de Casals.
Puis Robert d’Epernon reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque de Monseigneur le Pape Nicétas pour qu’il soit évêque des Français.
De même Sicard Cellerier reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque pour qu’il soit évêque d’Albi.
De même Marc reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque pour être évêque de l’Eglise de Lombardie.
De même Bernard Raimond reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque pour être évêque de l’Eglise de Toulouse.
De même Guiraud Mercier reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque pour être évêque de l’Eglise de Carcassonne.
De même Raimon de Casals reçut le consolamentum et l’ordination d’évêque pour être évêque d’Agen."
Après quoi le pape Nicétas dit à l’Eglise de Toulouse : "Vous m’avez dit de vous dire si les coutumes des Eglises primitives étaient légères ou rigoureuses. Je vous dirai que les sept Eglises d’Asie ont été séparées et délimitées entre elles, et aucune d’elles ne faisait quoi que ce soit contre les droits de l’autre. Et les Eglises de Romanie, de Dragovitie, de Mélenguie, de Bulgarie et de Dalmatie sont séparées et délimitées, et aucune ne fait quoi que ce soit contre les droits de l’autre. Et ainsi elles ont la paix entre elles : faites de même".

Suit la charte ou le procès verbal de conciliation et de bornage :
"L’Eglise de Toulouse choisit Bernard Raimond, Guillaume Garsias, Ermengaud de Forest, Raimond de Baimiac, Guilabert de Bonvilar, Bernard Guilhem Contor, Bernard Guilhem Bonneville et Bertrand d’Avignonet pour qu’ils soient arbitres du bornage.
L’Eglise de Carcassonne choisit Guiraud Mercier, Bernard Cathala, Grégoire, Pierre Caldemas, Raimond Pons, Bertrand de Mouly, Martin de la Salle et Raimond Guibert pour qu’ils soient arbitres du bornage.
S’étant réunis et ayant délibéré, ils dirent que l’Eglise de Toulouse et l’Eglise de Carcassonne seraient divisées selon les évêchés :
Le territoire qui s’étend du côté de Toulouse depuis la limite entre l’évêché de Toulouse et l’archevêché de Narbonne en deux endroits et la limite entre l’évêché de Toulouse et l’évêché de Carcassonne : à partir de Saint Pons, la montagne, entre le château de Cabaret et celui d’Haut-poul, la séparation entre les châteaux de Sais-sac et de Verdun, entre Montréal et Fanjeaux et la limite entre les autres évêchés de la sortie du Razès jusqu’à Lérida : que ce territoire soit dans le pouvoir et l’administration de l’Eglise de Toulouse.
Et que l’Eglise de Carcassonne ainsi délimitée et divisée ait en son pouvoir et son administration tout l’évêché de Carcassonne et l’archevêché de Narbonne et le reste du territoire ainsi délimité et indiqué de la mer jusqu’à Lérida.
Que ces Eglises soient délimitées comme il a été dit, afin qu’elles aient la paix et la concorde entre elles et qu’aucune ne fasse rien contre les droits de l’autre.
Sont témoins et garants de ceci Bernard Raimond, Guillaume Garcias, Ermengaud de Forest, Raimond de Baimiac, Guilabert de Bonvilar, Bernard Guilhem Contor, Bernard Guilhem Bonneville et Bertrand d’Avignonet.
De l’Eglise de Carcassonne Guiraud Mercier, Bernard Cathala, Grégoire, Pierre Caldemas, Raimond Pons, Bertrand de Mouly, Martin de la Salle et Raimond Guibert.
Tous ordonnèrent et dirent à Ermengaud de Forest de rédiger et faire l’acte de l’Eglise de Toulouse et de même ils ordonnèrent et dirent à Pierre Bernard de rédiger et faire l’acte de l’Eglise de Carcassonne. Et ainsi fut fait et exécuté.
Monseigneur Pierre Isarn fit faire cette copie d’une vieille charte, faite du pouvoir de ceux qui délimitèrent les Eglises comme il est écrit plus haut le lundi d’août 14ème jour depuis le début du mois, l’an 1232 de l’Incarnation du Seigneur, Pierre Poullain a transcrit tout cela sur sa demande et son ordre".

Duvernoy fait à la suite le commentaire suivant : "le document est remarquable par sa modestie, on serait tenté de dire par son insignifiance, ce qui est une preuve de l’authenticité des Actes, si Besse avait voulu fabriquer un faux à sensation il aurait fait mieux". La Charte est divisée en deux parties, d’abord une notice, ou procès-verbal d’une élection, ensuite une délimitation, après arbitrage, des évêchés de Toulouse et de Carcassonne. La notice précise le lieu, le château de Saint-Félix, où se rassemblent une "grande multitude d’hommes et de femmes". Niquinta confère le consolament, puis les Eglises élisent des évêques dont nous avons ainsi les noms, puis le consolament d’ordination est conféré à chacun d’eux. Un problème de territoire devait opposer Toulouse à Carcassonne, un arbitrage est nécessaire, point intéressant le Lauragais historique moderne : la limite entre Montréal et Fanjeaux correspond à celle du Lauragais historique moderne du 18ème siècle, Fanjeaux est dans la sénéchaussée de Toulouse (plus tard du Lauragais) et Montréal dans la sénéchaussée de Carcassonne.

La charte en discussion
On conçoit aisément l’importance capitale du texte pour l’histoire du catharisme dans notre région, le catharisme est en plein développement et il se donne une administration. La Charte a donné lieu à des débats passionnés entre spécialistes qui accusent Besse d’avoir écrit un faux, d’autres le défendent. Le conflit a aboutit à une conclusion dans un colloque fameux tenu à Nice en 1999, les Actes en ont été publiés en 2001. Deux groupes d’historiens se sont affrontés, chacun avec ses arguments. La Charte est ensuite soumise à la critique d’une troisième équipe qui s’intéresse au texte proprement dit : celle de l’Institut de Recherche et d’Histoire des textes. Ces chercheurs hautement spécialisés concluent à l’authenticité de la charte. Je cite la conclusion de Monique Zerner : "l’équipe de l’Institut de Recherche d’Histoire des textes a passé la Charte de Niquinta au crible de la critique formelle et défend son authenticité. Le document est contemporain des évènements rapportés, il s’agit d’un vidimus (copie) fait en 1232 d’une charte datée de 1167".

La Charte de Niquinta est authentique. Saint-Félix est le berceau des 4 évêchés cathares de 1167. Le Lauragais est le coeur de l’Occitanie Cathare.

Après Saint-Félix, le pape, l’Eglise catholique lance une Croisade contre les cathares (1209-1229), le Lauragais est ravagé par de nombreux évènements sanglants, des bûchers s’allument à Lavaur, les Cassès, Labécède, des batailles se déroulent au Pujol (Sainte Foy d’Aigrefeuille), Montgey, Baziège (1219).


La place de Saint Félix Lauragais
vue de la halle

Crédit photo : Collection Communaurté
de Communes Lauragais, Revel et Sorèzois
Un tribunal d’Inquisition est massacré à Avignonet en mai 1242 par des faydits venus de Montségur. Cette opération déclenche la riposte catholique, avec le siège et le bûcher de Montségur.

Si le Lauragais est le berceau du catharisme, il est aussi "terre de feu et de sang".

Jean ODOL

Bibliographie :
Ouvrages de Jean Duvernoy, Roquebert, A. Brenon.
Monique Zerner : "L’histoire du catharisme en discussion" - Nice 2001
Jean Odol : "Le Lauragais cathare, terre de feu et de sang" (à paraître en 2005).