H
accueil
Couleur Lauragais : les journaux

Histoire de l'Art

André Lagarrigue, artiste de chez nous (1886 - 1980)

Notre Lauragais, au début du siècle, a inspiré des artistes peintres. Notamment André Lagarrigue et Paul Sibra qui vivaient en voisins distants de vingt kilomètres à peine. Sibra, à Castelnaudary, Lagarrigue à Revel où "on le classait peintre néo-impressionniste parce qu’il peignait par touches comme floues, un peu brouillées peut-être. Il admirait Pissarro". On peut dire que certains des tableaux de Lagarrigue "ont le charme des paysages vus à travers la brume". Au cours d’une conversation avec Jean Bézian, Suzette Lagarrigue (épouse Vignaux) raconte ses souvenirs devant quelques toiles choisies parmi les 1500 peintes par son père.
 
Autoportrait

A Revel et à Toulouse
Mon père Frédéric Emile André Lagarrigue est né à Revel, en 1886, au 15 de la rue Jean Moulin. Il a commencé très tôt à dessiner puisque, entré dans la Section Primaire du Collège de Revel à cinq ans, il caricaturait déjà ses professeurs. Ils les a dessinés sur tous ses cahiers !
Puis, il a préparé les Ecoles Nationales d’Agriculture. En 1904, il est admissible. Mais, on change les programmes : il abandonne.
C’est alors qu’il dit au grand-père : "Moi, je veux être chanteur !"
- "Chanter ? Non ! Rien à faire ! Tu ne seras pas chanteur !"
- "Bon. Si je ne peux pas chanter, je veux peindre !", et il est parti. Il a travaillé à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse où il est entré le 1er octobre 1906. Ensuite, il "monte" à Paris. Un jour, il nous écrit : "Je monte en loge", et il sort 4ème sur 40 du Concours de Rome en 1913.



Le Printemps

A Paris
Alors là, c’est la vie parisienne. Paul Sibra, le peintre de Castelnaudary, n’est "monté" à Paris qu’un peu après. Lui et mon père s’étaient connus bien avant et sont devenus de grands amis. Très souvent, Paul Sibra venait sur sa bicyclette, voir papa à la maison, à Revel, depuis Castelnaudary. Et nous, nous allions chez Sibra, à Verdun-Lauragais dans son atelier de Rodhes.
Mais à Paris, mon père fréquentait surtout des amis qui étaient tous docteurs ou pharmaciens. Il est resté dans ce milieu-là. Il n’a jamais mené la vie de Bohême d’autres peintres. C’est peut-être un peu ce qui a manqué à son oeuvre, sa peinture a été... "trop sage", disons, elle n’a rien révolutionné.

Retour au pays natal
Et voilà qu’après la guerre, en 1919, il revient à Revel pour y faire... de l’agriculture ! Son père malade ne pouvait plus s’occuper de ses onze propriétés. Résultat, c’est mon père qui, entre deux toiles, a fait planter des vignes, du blé, du maïs, etc.



La Montagne Noire

Du vent dans les toiles
Puisque vous vous intéressez aux vieux moulins à vent, monsieur, sachez que dans sa maison natale, mon père a peint entre autres fresques, les Moulins de St Félix. Vers 1911, je crois. Les autres moulins à vent, il les a peints sur toile, surtout en 1931 :
- Moulin de Saint-Papoul
- Moulin de Castelnau-dary
- Le Moulin démoli de Labastide d’Anjou : ceux qui meurent
- Moulin de Saint-Félix
- Les moulins à vent du Lauragais : Le Vaux (HG), effet de soleil couchant
- Moulin de Montmaur, Aude. Celui-ci, qui est daté "Matin, 1942, 9 avril", on peut le voir au premier étage de l’Office de Tourisme, à Revel, dans le beffroi.

"Je me souviens"
Quand il peignait ces moulins à vent, je me souviens... il partait avec la voiture, dans les collines lauragaises. A cette époque-là, pendant trois ou quatre mois, il passait son temps à peindre un tableau par jour. Et puis, durant six mois, il ne touchait plus un pinceau. Et tout d’un coup, ça le rattrapait, et allez ! il repartait en promenade et il peignait.
Et même en hiver ! Il plantait son chevalet en pleine neige ! Un jour, à neuf heures du matin, il se trouvait dans un champ, à faire ses tableaux. Madame A.T. voyait ce monsieur accroupi près de son chevalet, avec ses pinceaux, sa palette, tout son attirail : "Mais qui c’est, cet innocent, là-bas ? Par un temps pareil !... Il est maboul, çui-là !" Elle s’est approchée : "Ah !... Oh, Monsieur André... E bé... je... je vous pensais pas là à cette heure. Avec ce froid, vous devez avoir le feu sacré !"


Un moulin du Lauragais
(exposé salle André Lagarrigue
à l'Office de Tourisme de Revel)

Il possédait un deuxième atelier à Saissac, et comme il y allait bien souvent à bicyclette, où même à pied, il avait le temps d’admirer le paysage. Quand il arrivait en quelque endroit, si l’endroit lui plaisait, il faisait son tableau. A son retour, il classait la pochade. Parfois, il y retravaillait six mois après.
Et savez-vous sur quoi il peignait ? Il a peint pas mal de choses sur des cartons de La Belle Jardinière. Il en découpait le couvercle, il enlevait les bords et il peignait là-dessus. Ou alors, sur des bouts de contre-plaqué qu’il récupérait dans les décombres de quelque chantier et qui étaient pleins de ciment. Un jour, nous avons offert un de ses tableaux à des amis de plage, pour le soixante-dixième anniversaire de leur grand-père. Des voiliers échoués sur le sable, la mer, les vagues déferlantes, l’écume... Le blanc de l’écume était mis en valeur grâce aux restes du ciment parce qu’il avait peint en blanc par-dessus. Oui, une marine sur un misérable contre-plaqué de chantier ! Mais, lui, il ne peignait pas pour vendre. Il se régalait de peindre, voilà tout.


Le Château de Saissac

"Ce pays qu’il a peint sous toutes ses coutures"
Si vous allez à la salle des mariages de la mairie de Revel, vous verrez une scène de labour, une toile immense peinte par lui. La paire de boeufs est du Lauragais, des environs de Revel. Et ici, dans ma maison, je conserve une toile assez grande, un mètre cinquante sur un mètre à peu près, où l’on voit deux paires de boeufs, l’une devant l’autre, un laboureur devant qui conduit, un autre derrière qui tient la charrue. Ce premier plan est relativement foncé, marron, c’est la couleur de la terre de bruyère. En haut de ce champ arrondi comme un arc de cercle, les bêtes et les laboureurs sont peints en silhouettes comme des ombres chinoises. Les détails vestimentaires, évidemment, on ne les voit pas. Tout le reste, le lointain un peu embrumé mais lumineux, c’est la chaîne des Pyrénées, un rideau de brume bleutée, claire, avec des taches de neige, comme on pouvait la voir depuis ici, bien sûr.
C’est un sujet de la région. Si mon père avait vécu dans le nord, il aurait peint des mines de charbon, peut-être. Mais ici, c’est l’horizon du Lauragais et la Montagne Noire. Ce pays qu’il aimait énormément, il l’a peint sous toutes ses coutures.



Les Labours
(tableau exposé salle des mariages de la Mairie de Revel)

"Vous ne voyez plus rien"
Pour en revenir à ce tableau, c’est un document à double titre. Maintenant, des gens qui labourent avec des boeufs, on n’en trouve plus que dans les dictionnaires, c’est devenu folklorique. Et d’autre part, les gens qui ont posé "faisaient" des pommes de terre comme on le voit dans le premier plan en champs labourés. Les boeufs, on les a mangés. La "cuisse de tracteur", non, ça ne vaut rien, on n’en mange pas. Les paysans qui ont pris la suite, eux, à cet endroit-là ils ont planté des sapins. C’était moins fatigant que de "faire" des patates. Si vous y allez aujourd’hui, quand vous commencez à descendre la côte, après la route qui conduit au barrage, et que vous arrivez dans ce tournant-là, vous ne voyez plus rien. Vous voyez le bois de sapins et puis c’est tout. Vous ne voyez même pas les Pyrénées.



Fresque représentant le travail des champs
(sur les murs de l'ancienne demeure
d'André Lagarrigue)

Jean Bézian
Revel

Co-auteur de :
Les grandes heures des moulins occitans
par Huguette et Jean Bézian,
Collection Terre Humaine, Editions Plon.

Crédit photos : Couleur Média

Quelques renseignements :
- Elève de l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris (1908)
- Travaille dans l’atelier de Jean-Paul Laurens (1909-1913)
- Lu dans ses notes : "Toiles à l’étranger : Boston, Londres, Hollande, Suède, Allemagne et Suisse" + Finlande, Etats-Unis...
- Collabore à des revues méridionales : Les Feuillets occitans, Septimanie...
- Salon des Artistes Méridionaux, Toulouse
- Salon des Indépendants Roussillonnais, Perpignan
- Musée des Augustins, Toulouse
- A Revel : exposition à l’Hôtel de la Lune (peintures et poteries) en novembre 46
- A Revel : exposition au Beffroi (où se trouve une salle baptisée "salle André Lagarrigue")
- 1962 : participe à la création de la Société des Artistes Peintres du Lauragais

Remerciements particuliers à René Vignaux, qui très aimablement
nous a permis de photographier quelques œuvres de son beau-père.