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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

L’alimentation traditionnelle des paysans lauragais avant 1950
(18-19ème, moitié du 20ème siècle)

Pourquoi 1950 ? Cette date marque le début d’une transformation radicale du Lauragais, un véritable bouleversement qui se résume en une révolution des machines (tracteurs, moissonneuses), une révolution des plantes cultivées (blé, maïs, tournesol) à très hauts rendements, une agriculture reposant sur la maîtrise de très gros capitaux et donc provoquant la disparition des petites exploitations.
En même temps une révolution alimentaire spectaculaire conduit vers de nouvelles pratiques. En 2004 les paysans achètent leurs volailles à Intermarché et les adolescents boivent du Coca-Cola ! Le Lauragais 2004 n’ a que de très lointains rapports avec celui de 1950. J’étudie ici l’alimentation aux 18ème, 19ème et la première moitié du 20ème, c’est à dire une période où tous les travaux se font à la main et où les sillons des labours s’ouvraient aux pas majestueux des gascons..


Le cadre : la borde et sa cuisine
1 - L’agriculture traditionnelle se développe sur des exploitations petites (10 hectares) ou moyennes (20 hectares), les grands domaines sont divisés en bordes de 10 ou 20 hectares, chaque borde étant mise en valeur par une famille de paysans. La borde vit en autarcie à peu près complète en produisant tout ou presque ce qui est nécessaire à l’alimentation de la famille. On achète : le sel, le sucre, l’huile d’olive (très peu), de la viande de boucherie : très rarement ou au printemps, de l’agneau, ou pour les fêtes. Les terres de l’exploitation produisent blé, maïs, lentilles, fèves, haricots, légumes (surtout des choux) pommes de terres (au 19ème siècle), le vin vient de "la vigne". Chaque ferme a un troupeau de brebis (30-40 têtes), surtout un gros élevage de volailles : poules (oeufs), canards, oies, dindons, pigeons, un porc ou deux.


Semailles de maïs et de citrouille
Crédit photo : Collection Semenou

2 - L’atelier de préparation : la cuisine (le local) de la borde
La borde(1) est une maison-bloc à terre, sans étage, les bâtiments sont disposés en fonction de l’étable et des animaux qu’elle abrite, c’est le moteur, le coeur de la maison. La grande salle commune est à la fois salle de séjour, cuisine et aussi chambre à coucher pour le chef de famille. Dans un coin, est disposé un lit contre une cloison mince qui permet d’écouter, la nuit, des bruits suspects de l’étable. Dimensions de la cuisine : 8 x 8 m par exemple, au centre une immense table, des bancs pour les convives, les chaises, en bois d’acacia, apparaissent vers 1860-1880. Près d’une fenêtre, l’évier avec ses cruches (dournas) et leur réserve d’eau, un vaisselier, des armoires pour le linge. Le monument principal est la cheminée de très grandes dimensions, avec ses chenets, sa crémaillère, "le pairol". Pour le feu on utilise évidemment du bois, parfois des tiges de maïs ainsi que les racines séchées de cette plante miracle. L’entrée de la cuisine se fait par l’étable, ce qui permet, en passant, de jeter un coup d’oeil sur les boeufs qui sont le bien le plus précieux de la borde. Le sol est en terre battue, encore en 1939, c’est l’étable qui est l’objet de toutes les attentions, le logis des hommes vient loin derrière. A côté du bâtiment principal, le fournial (ou fournil), avec le four à pain, est isolé (danger d’incendie) ; à côté la galinièro pour les volailles, une soue à porcs..


La cuisine d'antan et ses ustensiles
( reconstituée par Jean Farenq)

Les bases de l’alimentation
1 - La farine de blé-froment fournit le pain dont la consommation est énorme : 2 kg pour un homme, par jour, lors des grands travaux d’été, sous forme de soupes aux choux avec des morceaux de lard, confit de canard ou de porc, des pommes de terre on l’appelle parfois "la soupo de caoulets as truffets".

2 - Le maïs a connu un essor spectaculaire aux 18 et 19ème siècles. Il est alors l’aliment de base pour les classes pauvres, le pain blanc étant réservé aux propriétaires, moyens et grands. Le millas s’obtient, dans un grand chaudron à moitié plein d’eau bouillante, en versant en pluie la farine de maïs au milieu du récipient et en remuant avec un solide bâton. Lorsque la bouillie est bien épaisse on verse sur une table que l’on incline en tous sens pour obtenir une couche de 3-5 cm d’épaisseur. Le millas remplace le pain sans additif, on peut le faire dorer à la poêle, avec du sucre. Le mesturet est un millas enrichi de pulpe de citrouille rouge, du sucre, des oeufs, du beurre, du rhum. C’est plutôt un gâteau. La millassine (millasino) est une variante, elle comporte, pour 8 personnes, 300 g de farine, 450 g de sucre, 5 oeufs, le zeste de 2 citrons, eau de fleur d’oranger, 1 litre de lait, 100 g de beurre. Le pain de maïs est plutôt une galette aplatie car ce pain ne "lève" pas. En 2004 on assiste à un retour de ce type de pain sur les marchés lauragais comme Castanet, Villefranche Castelnaudary.

Le millas : aliment de base du paysan
Crédit photo : Couleur Media



Le maïs
Crédit photo : Groupe Coopératif Occitan

Une autre base de l’alimentation humaine est celle des féculents, comme haricots, lentilles, pois chiches, vesces (très consommées au Moyen Age) et les fèves. Le haricot est originaire d’Amérique centrale (Mexique), plante tropicale exigeante en chaleur et beaucoup de pluie, elle a trouvé en Lauragais des conditions très favorables. Le cassoulet tire son nom de la cassole, le récipient en terre d’Issel dans lequel on fait mijoter les haricots. Les types de cassoulets sont très nombreux, avec 3 types de base Dieu le Père qui est le cassoulet de Castelnaudary, Dieu le Fils celui de Carcassonne et le Saint Esprit celui de Toulouse. Chaque borde a sa préparation et ses secrets propres, comme de nos jours les restaurants, à Castelnaudary le cassoulet est achevé dans le four du boulanger, lequel était chauffé aux genêts épineux de la Montagne Noire. Le févoulet est un cassoulet aux fèves : il était le plat de résistance au Moyen Age, ainsi en 1355, chez les Dominicaines de Prouille, dans leur monastère créé par Saint Dominique au pied de la colline de Fanjeaux.

Les viandes : comme l’écrit Pariset : "la viande de boucherie est chère, en été, le boeuf manque absolument, on mange beaucoup d’agneau". On doit remarquer ici l’importance de l’élevage des brebis dans le Lauragais, avec une race spécifique, pour la laine, les agneaux, le lait. La laine est l’or blanc du Lauragais qui, aux 16 et 17ème siècle est beaucoup plus chère que le pastel, lequel, au niveau de la production des coques, est très bon marché. L’agneau est, avec le porc la principale viande consommée. Pariset ajoute : On fait, pour l’été, de grosses provisions de salé de porc d’oie, de canard et autres volailles", c’est grâce au maïs que l’élevage des porcs et canards a permis de très grands progrès dans l’alimentation humaine, son rôle est beaucoup plus important que celui du pastel qui n’a enrichi que les grands propriétaires et surtout les grands commerçants, ceux que l’on appelle les princes du pastel (Assézat ou Bernuy). Le maïs est suivi d’un progrès alimentaire pour la masse de la population que les hommes soient riches ou pauvres. La fête du porc mérite un article spécial. Pour les volailles, nous connaissons de nombreux plats typiquement lauragais comme "la poule au pot de cocagne", "le vieux coq aux deux vins", "le canard musqué aux olives", "le poulet à la braise" ou "le poulet à la pierre".


Capture du canard avant le gavage
Crédit photo : Couleur Média

Les boissons : les lauragais ne consomment pas de lait, par contre il boivent une grande quantité de vin rouge, 4 à 6 litres par jour, par homme, lors des durs travaux comme les fauchages de prairies, la moisson. Le vin lauragais est le plus souvent une piquette infâme (6 à 7 degrés) sauf dans quelques terroirs localisés sur des sols graveleux et caillouteux, ainsi au Nord de Baziège (vers en Gravelle) ou sur des côteaux ensoleillés vers Avignonet ou Castelnaudary, ou Bram. D’autre part, le vin-piquette était très sensible au vent d’autan qu’il faisait "tourner", vraiment imbuvable et cependant nos solides paysans en consommaient toujours autant.

Des systèmes alimentaires saisonniers
L’hiver, les paysans lauragais prenaient trois repas : un déjeuner vers 8 heures (heure solaire évidemment) assez copieux avec un gros morceau de pain, des sardines de tonneau, du pain "aillé" bien arrosé. Le repas de midi est composé d’une soupe au lard des haricots, quelques légumes (soupe au chou avec du confit). Le soir, le souper se déroule vers 19 heures, encore de la soupe et presque tous les jours, des haricots réchauffés. Dans un coin de la cheminée, la grand mère entretenait inlassablement une toupine de haricots, avec de l’ail, qui étaient consommés au repas du soir.

L’été, les paysans "prenaient" le régime d’été vers le premier mai. En cette saison les besoins énergétiques sont énormes, n’oublions pas que tous les travaux sont effectués à la main, sarclage du maïs, moissons, fauchages, vendanges. Le paysan fait 5 parfois 6 repas, grands et petits ; le lever se fait vers 4 heures, durant la nuit car il faut nettoyer l’étable, nourrir les boeufs. Premier repas, très tôt, vers 5 heures, au lever du jour, sorte de prologue dit Pariset ; il faut "tuer le ver" (tua le bern) soit un très petit repas avec un morceau de pain, de l’ail ou de l’oignon. Vers 8 heures le déjeuner est très copieux avec de la soupe au lard aux choux, au saindoux, des haricots, fromage du vin. Pour les fromages le Lauragais, faute d’élevage laitier, ne connaît pas de production. Par contre, en 2004 sont commercialisés d’excellents fromages de chèvres et un remarquable "fromage cathare" de type parmesan, vendu sur les marchés de la banlieue toulousaine à Revel, Villefranche et exporté en Allemagne. Vers 11 heures l’épilogue : "lever la jument", en occitan : "léba léguo", du pain avec de l’ail. Le grand repas a lieu vers 12-13 heures, ce dîner est composé d’une soupe au salé de porc mais aussi quelques légumes, du vin, du fromage. Le repas de midi est suivi d’une sieste d’une heure qui se dit : "fare la mietchoum". Vers 16 heures, un goûter, dit "espertina" un morceau de pain et du fromage. Le repas du soir, vers 19 heures est abondant avec du millas, des haricots qui se sont réchauffés dans la toupine au coin du foyer, donc
6 repas.


La moisson
Crédit photo : collection Semenou

Les grandes fêtes gourmandes
Lors des fêtes religieuses, les paysans se livraient souvent à des agapes somptueuses. Avant Noël, la période de l’Avent est maigre et incite au jeûne. Avant la messe de minuit, vers 19 heures, on fait un copieux repas dans lequel se mêlent des aliments gras, pieds de porc, haricots, millas, et des aliments de jeûne : pommes de terre morue, oeufs durs. Ce repas est pris exceptionnellement sur un linge blanc dans la plus belle vaisselle de la maison. Après la messe de minuit, au retour, se déroule "le resopet" ou "revelhon" qui ouvre la période des douze jours de bombance. L’abondance alimentaire y tient la place qu’ont pris aujourd’hui les cadeaux. La charcuterie tient la plus grande place, si le porc a été tué pour la Saint Martin, les saucissons sont goûtés ce soir là, ainsi que "le jésus", c’est le plus gros saucisson confectionné avec le rectum du porc. Les oranges apparaissent vers 1920, la bûche était connue au 19ème siècle.
Lors des grands travaux, moissons, fauchages des prairies, dépiquaison des repas spéciaux sont préparés surtout si des voisins sont venus donner un coup de main (pour les dépiquaisons par exemple), avec de nombreuses volailles rôties. Pour les vendanges, "la croustado de las vendemios" était le dessert le plus original confectionné aussi pour la fête votive et les fêtes carillonnées, voici quelques remarques sur sa préparation : faire une pâte de 600 g de farine de froment, 500 g de sucre, 250 g de beurre, pour 8 personnes, de l’eau de fleur d’oranger, 2 verres d’Armagnac (du bon) 6 pommes, 2 oeufs, du sel. Travailler la farine, le beurre, les oeufs battus jusqu’à l’obtention d’une boule lisse susceptible d’être étirée jusqu’à transparence. Préparer les pommes en fines lamelles, les mettre à mariner dans l’armagnac pendant 3 heures, étirer la pâte sur une table, graisser au beurre un moule plat, disposer la pâte et les pommes imbibées, enfourner 160-180 degrés, 45 minutes. Les paysannes du Lauragais adoraient préparer des gâteaux, "madeleines", "oreillettes" ou autres "pescajoux" (crêpes).

Une civilisation culinaire paysanne et lauragaise a disparu à partir de 1950. La population contemporaine en 2004 essaie de redécouvrir son originalité comme en témoigne le succès dans les restaurants lauragais, des spécialités régionales, ou les cassoulets au fèves des Médiévales de Baziège ou les Historiades de Saint Papoul ou l’énorme fête du cassoulet à Castelnaudary ou encore le nouveau pain de maïs.

Jean Odol
Couleur Lauragais n°66 - Octobre 2004

1)Jean Odol : "Archéologie et patrimoine du Lauragais” 1995 - avec un plan très détaillé d’une borde


Bibliographie :
Pariset : "Moeurs et usages du Lauragais" 1867
Fabre : "La vie quotidienne des paysans du Languedoc au 19ème siècle"
Fallou : "Le cassoulet"
Ravari-Vergnes : "La cuisine des pays d’oc et de cocagne"