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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

La merveille de l'Occitanie : le Canal du Midi
Patrimoine Mondial de l'Humanité - UNESCO

Le Canal du Midi, de Toulouse à Sète, Pierre Paul Riquet, son concepteur et constructeur, sont des noms connus dans le monde entier depuis leur classement dans la liste des monuments du Patrimoine mondial de l’humanité, en novembre 1996, par l’UNESCO(1). Il est l’un des monuments les plus connus du monde, certainement l’un des plus célèbres de France. Il s’agit du seul canal classé au Patrimoine Mondial. Il est certainement mieux connu aux
Etats-Unis ou en Angleterre qu’en France, et même qu’en Lauragais ! Notamment chez les élèves des collèges et lycées...

Le Canal de Briare
Toute étude du Canal du Midi exige quelques remarques sur un autre canal de France celui de Briare, ouvert à la navigation en 1642, donc 40 années avant le nôtre. Riquet connaissait bien Briare et il y cueillit bien des idées, des problèmes, des solutions mais aussi il s’imprégna de bien de questions comme celle du manque d’eau pour le fonctionnement de la voie d’eau(2).
Le Canal de Briare joint la ville de ce nom, sur les bords de la Loire, et Montargis, ville des bords du Loing, et affluent de la Seine, donc il s’agit d’un canal joignant la Loire à la Seine. Il est aussi appelé le Canal Henri IV. Le créateur s’appelle Hugues Crosnier. Briare est la ville la plus proche du Loing dont elle est séparée par une zone de collines culminant à 170 m. Briare est à 123 m, Montargis à 90 m. Il s’agit d’un canal à point de partage, avec une double pente, deux escaliers de biefs et d’écluses depuis le point le plus élevé. Les écluses sont de dimensions modestes 5,5 m de large, épaisseur des murs : 2 m, à noter une écluse avec 6 bassins, à Rogny. L’alimentation est assurée par des ruisseaux, des sources, des étangs ; elle est très insuffisante et, par manque d’eau, la navigation s’arrêtait plusieurs mois par an. Le manque d’eau sera une obsession chez Riquet qui adoptera sur son canal quelques réalisations du Canal de Briare comme par exemple l’escalier d’écluses de Fonsérannes, 7 bassins (ou sas) près de Béziers ou les 4 bassins de Saint Roch à Castelnaudary.

Pourquoi un canal de Toulouse à Sète, de la Garonne à la Méditerranée
Le projet d’un canal est ancien ; les Romains y auraient songé, de même sous François 1er et Henri IV. Dans le milieu familial de Riquet, à Béziers, le sujet était abordé dans les conversations. Deux raisons majeures ont joué un rôle déterminant : Riquet était producteur de blé lauragais et il connaissait minutieusement la région de Naurouze et la Montagne Noire.

Riquet à Bonrepos (près de Verfeil)


Pierre Paul Riquet

Riquet est un receveur de gabelles et dispose d’une grosse fortune. Il achète un vieux château à Bonrepos vers 1640. Ce village est à 7 km au nord-ouest de Verfeil, sur les lisières du Lauragais historique. Là, il construit l’actuel château puis des achats de bordes et de parcelles de terre le transforment en producteur de blé et de laine, les deux seules richesses commercialisées en Lauragais. Le blé, fondation de l’économie lauragaise, était acheminé vers Toulouse, vraisemblablement avec des chars à boeufs. Un autre débouché était la région de Narbonne, Béziers, et au-delà la Provence Marseille ; sur cet axe le transport se fait avec des convois de mulets, très coûteux sur une seule route empierrée, l’antique et prestigieuse "voie d’Aquitaine", la via aquitania. Le coût du transport est prohibitif et certaines années il demeurait des stocks de blé invendus chez les bladiers lauragais. Riquet était très au courant de ces difficultés d’où son projet de construire un canal vers la Méditerranée, vers les régions déficitaires et importatrices.

Riquet à Revel 1650-1660
Riquet s’établit à Revel vers 1650, garlande de cers. Pendant 10 ans, il parcourt à pied à cheval, la région autour de Revel, avec un habitant fin connaisseur des lieux Campmas. Il visite la Montagne Noire où il découvre la richesse en eau des torrents comme l’Alzeau, la Bernassonne, le Sor. Il connaît fort bien les rivières comme le Fresquel, le Girou, le Sor, l’Hers, l’Aude. A Naurouze il découvre le point le plus haut entre Méditerranée et Toulouse. C’est à Revel qu’il conçoit l’alimentation d’un canal en conduisant les eaux des torrents de la Montagne Noire jusqu’à Naurouze par une rigole (un petit canal ou canalet). Il fixe le tracé d’une rigole d’essai qu’il réalisera en 1664. Riquet expose son projet à Colbert, le premier ministre de Louis XIV en 1662. Le canal vise donc à désenclaver la région toulousaine et le Lauragais, il sera alimenté par les eaux de la Montagne Noire, plus haute que le seuil de Naurouze.

Hommage à Vauban, le sauveur du Canal en 1686-1687
Riquet meurt en octobre 1680. La première navigation de Toulouse à Sète se fait en mai 1681, mais, moins de 4 ans plus tard, le canal est à demi comblé, ensablé, et l’on envisage son abandon. Vauban le sauve.


Vauban

Vauban est un ingénieur des fortifications qui entoure la France d’un cordon de places fortes, de forteresses, d’ouvrages divers qui sont célèbres et qui sont toujours là. Il est moins connu, malgré ses qualités, comme penseur politique, comme un philosophe des Lumières qui s’élève contre l’absolutisme royal et qui préconise la création d’un impôt universel payé par tous les Français, "la dîme royale". Riquet avait une obsession manquer d’eau pour son canal. Ses craintes étaient sérieusement fondées et le passage des barques s’arrêtera souvent la dernière fois en 1992. Pour cela il fait déverser dans le canal les eaux de tous les ruisseaux dont le cours est tranché par la voie d’eau, or ces ruisseaux apportent certes de l’eau mais aussi des alluvions, des sables, des boues, des limons, en quelques années le canal est comblé sur de longs parcours l’échec est spectaculaire. Envoyé sur les lieux en 1686, Vauban dégage les causes du mal et fait procéder à de nouveaux travaux pour conduire les cours d’eau sous le canal au moyen de petits tunnels appelés "voûtes". Leur nombre est proportionnel au débit du cours d’eau, ainsi une voûte pour le ruisseau de Nostre Seigné à Montgiscard, deux pour l’Amadou à Ayguesvives, trois pour la Thésauque à Montesquieu, au total 49 acqueducs de Toulouse à Sète ; les travaux sont achevés en 1694. Vauban est aussi l’auteur de "la voûte" des Cammazes. Au temps de Riquet, la Rigole de la Montagne s’arrête au Conquet où ses eaux descendaient vers le Sor. Il avait prévu cependant un prolongement vers Saint Ferréol. Vauban perce la colline des Cammazes par un tunnel de 150 m de long, 3 m de large. Les travaux sont exécutés en 1687 et le canalet alimente ainsi directement le "magasin" de Saint Ferréol. Les historiens du canal associent toujours le nom de Vauban à celui de Riquet.

Riquet est l’inventeur de l’alimentation en eau du canal
C’est à Riquet, et à lui seul, que nous devons le système d’alimentation en eau du canal. Il était le concepteur unique connaissant avec une extrême précision le lieu, à quelques mètres près, où il creusera "la tranchée du Conquet" par laquelle les eaux prises au bassin-versant méditerranéen s’écoulent vers le bassin atlantique.


Le partage des 2 mers
Crédit photo : René Claude Mazella

La Rigole de la Montagne prélève des eaux à l’Alzeau, le Lampy, Lampillon Bernassonne, Rieutort, au moyen de petits barrages en poutres superposées (les tampes) et insérées dans les rainures de deux blocs de maçonnerie. Au Conquet les eaux de la Montagne se jetaient primitivement dans le Sor puis, avec Vauban, elles se dirigent vers Saint Ferréol. La Rigole de la Plaine prend les eaux du Sor à Pont Crouzet et rejoint la Rigole de la Montagne "aux Thomases" puis, après mille sinuosités, la Rigole atteint Naurouze et le bief de partage. En ce point les eaux ont parcouru 60 km depuis l’Alzeau.
Le débit des Rigoles est insuffisant pour les besoins du canal et l’on dut construire d’autres prises sur le Fresquel, l’Orbiel, la Cesse, l’Orb. Malgré cela, le Conquet demeure le point stratégique, vraiment génial, de l’alimentation.

Riquet et son canal bouleversent le Lauragais
La construction de ports (voir Couleur Lauragais n°60) à Baziège, Gardouch Renneville, Castelnaudary, Bram, puis d’un système de routes empierrées aboutissant aux ports dotent le Lauragais d’un moyen de transport sûr, peu coûteux, d’où l’essor des exportations de blé, et le Pays des Mille Collines devient une machine à produire du blé. A partir de 1681, et surtout 1720, commence une période d’intense prospérité. Le premier Age d’Or du Froment 1681-1840-1857, le second s’étalant de 1950 à 2004. Le prix du setier (93 litres) s’accroît régulièrement de 1681 à 1820 ; 200 barques, vers 1780, font le transport vers Toulouse et surtout Narbonne, Béziers, Sète au delà le grain gagne le Roussillon, la Provence, la Catalogne et l’Italie. Les retombées économiques sont très brillantes.
Les retombées sociales sont diverses car les grands propriétaires, gros producteurs de blé, et aussi de laine, s’enrichissent souvent spectaculairement, ainsi que les négociants en grains ou bladiers (de l’occitan blat, c’est à dire blé), ces derniers achètent les grains aux producteurs sous les halles de Caraman, de Baziège, de Villefranche, de Castelnaudary ou de Bram, puis organisent le transport jusqu’aux ports, enfin les barques gagnent Toulouse ou Narbonne.
Sur les bordes de leur domaine, les grands propriétaires remplacent les métayers par des maîtres valets, donc on assiste ici à une régression sociale. le métayer possède quelques instruments de travail comme l’araire, la houe, la faux, parfois une paire de boeufs ; il partage les récoltes avec le propriétaire, à moitié. Le maître valet est un prolétaire, un simple salarié (en nature) recevant cependant le maïs d’un arpent que lui alloue le propriétaire ; il se nourrit de millas. Les 18 et 19ème siècles sont ceux du maître valetage qui permet aux propriétaires de conserver la meilleure part des récoltes de froment.


Le Château de Mourvilles Basses
Crédit photo : Philippe Foro

Dans le domaine architectural, les châteaux du froment se multiplient en Lauragais au 18ème siècle : plus d’une centaine, certainement plus. On reconnaît ces châteaux en les comparant au château royal de Versailles, ils sont une modeste copie, par exemple le château de Mourvilles Basses (famille de Villèle). Les églises sont construites ou restaurées, notamment les clochers, de nombreuses cloches sont datées du 18ème siècle. Les pigeonniers du froment parsèment le Lauragais. La construction des châteaux prend fin vers 1850 lorsque débute la mévente du blé avec la construction des chemins de fer 1857 : les blés d’Ukraine ou de la Beauce sont moins chers à Toulouse que le froment du Lauragais, d’où la crise qui perdure jusqu’en 1936.
Avec un label aussi prestigieux, être classé au Patrimoine Mondial, le canal est désormais la "merveille de l’Occitanie"(3), mais une merveille plutôt somnolente. Les barques ont disparu, avec le transport du vin, du blé, des hydrocarbures par des trains et des camions. Tous nos espoirs se tournent vers le tourisme. La flotte ancrée dans le Grand Bassin de Castelnaudary en est la dynamique illustration.


Le Bassin de Castelnaudary
Crédit photo :Couleur Media

Jean Odol
Couleur Lauragais n°65 - Septembre 2004

1)La liste des monuments avec de riches commentaires est publiée dans "Les trésors du Patrimoine Mondial" 9 tomes,pour le canal, voir tome 8, pages 88-89, par U. Anhäuser.
2)Voir sur le Canal de Briare : article d’Hubert Pinsseau dans Tome 3. Tricentenaire du Canal- 1981 pages 27 à 52
3)La formule est de Georges Frêche

Bibliographie : Jean Odol : "Le Lauragais, pays du pastel et des cathares" réédition de juin 2004 Le Patrimoine Mondial de l’Humanité, 9 tomes