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Couleur Lauragais : les journaux

Au fil de l'eau

En pensant à Pierre-Paul Riquet

Dans les numéros 1 et 2 de notre magazine "Couleur Lauragais" (avril et mai 1998), je rendais un hommage à Pierre-Paul Riquet et à son oeuvre gigantesque du XVIIème siècle, le Canal Royal de Languedoc, de nos jours le Canal du Midi. Celui-ci venait d’être reconnu mondialement en étant classé au "Patrimoine Mondial" par l’UNESCO*.
Aujourd’hui en 2004, quatre centième anniversaire de la naissance de Riquet, c’est à ce personnage hors du commun auquel je voudrai rendre un fervent hommage et comment ne pas le faire par la "plume" de notre ami Bernard Blancotte, qui vient de nous quitter il y a quelques mois. Ce serait également et fraternellement lui rendre aussi un affectueux hommage.

En pensant à Bernard Blancotte
Nous étions tous deux passionnés et fascinés par ce "moïse" du Languedoc, comme Bernard se plaisait à l’appeler. Nous avions travaillé ensemble dans les années 1980-81, au sein d’une bonne équipe et d’une association dirigée par l’ami commun Roger Vila-Mir (Association du Tricentenaire de Pierre-Paul Riquet).
Bernard s’était impliqué dans les manifestations que nous avions organisées autour de ce tricentenaire, avec un concours de poésies et de peinture ; il aimait également peindre. C’est surtout dans l’écriture qu’il excella. Il nous laisse de très nombreux poèmes, des écrits et des ouvrages, toujours sur le thème du Canal du Midi et de son génial bâtisseur.
Bernard est parti alors qu’il mettait les derniers mots dans une oeuvre "historicoromanesque" sur cette fabuleuse histoire, il l’avait intitulée "La Fille du Roi des Eaux" (plus de 300 pages).
En plus de ces nombreux ouvrages et guides sur Revel, le Lauragais, et la Montagne Noire, Bernard avait écrit en 1980, une chronique dramatique "Le Visionnaire de Naurouze". Celle-ci couronnée par l’Académie des Jeux Floraux.
Après une carrière de professeur dans un établissement d’enseignement technologique à Paris, il avait auparavant fait du journalisme (presse écrite et parlée), il consacre ensuite sa vie à l’écriture. Je ne citerais pas ici ses trop nombreuses publications, dont certaines primées par l’Académie française, son action auprès de l’Académie du Languedoc lors de sa création fut importante, il en est le cofondateur.
De ces nombreuses activités littéraires et artistiques, il aura eu la satisfaction de se voir compris et apprécié. Puisque l’Ordre des Palmes Académiques le reconnaîtra, comme Commandeur, après l’avoir nommé Chevalier et Officier ; les Arts et Lettres lui attribueront le titre d’Officier ; la ville de Paris lui décernera la Médaille de Vermeil et bien d’autres encore le décoreront !
Mais laissons à Bernard Blancotte le soin de nous parler de Pierre-Paul Riquet, dans ce poème qui en dit long, très long... sur cet homme et son oeuvre qui marqua à l’époque et marque encore de nos jours notre belle province du Languedoc.

Statue de Pierre-Paul Riquet à Béziers
Crédit photo : J. Batigne

Jacques BATIGNE

*UNESCO : United Nation Educational Scientific Organisation, institut spécialisé de l’Organisation des Nations-Unies constitué en 1946 pour protéger les libertés humaines et développer la culture. Son siège est à Paris.

Projet de statue de Pierre Paul Riquet
du sculpteur Pierre Jean David, dit David d’Angers (1788 - 1856)
Crédit photo : J. Batigne

C’était sous Louis XIV le Grand et vous rêviez des deux mers réunies

En avez-vous fait des pas, des enjambées dans les
forêts de Ramondens et de la Galaube,
D’Alzau à Peyrebazal ?
De l’Aiguille à Bascaud ?
En avez-vous battu des fourrés et des ronces, des genêts et des houx
A la recherche des fontaines sous les mousses,
Cependant qu’à la cour on riait de vos courses ?
Vous a-t-il fallu en faire des détours dans la plaine
Cherchant entre les peupliers le tracé futur des rigoles ?
Vous a-t-il fallu marcher sous le couvert des aulnes,
des hêtre et des chênes
Le plus souvent par les sentiers que vous forciez,
Avec à vos côtés l’obscur enfant de Revel Pierre le fontainier
Qui vous servait de guide et portait vos cartons ?
C’était sous Louis quatorze le Grand et vous rêviez
Des deux mers réunies,
La grise souvent verte,
Et la bleue, notre mer
Toutes deux unies enfin par l’artère
Par l’artère d’eau douce qu’il vous plaisait de façonner lorsque
Vous alliez
De Toulouse à Béziers.
Ah ! la belle ligne d’eau s’étirant jusqu’au moindre méandre
Si nette déjà dans votre tête
Que vous vous surpreniez à voir les chemins de halage.
Ah ! la belle ligne d’eau et tout au long, les peupliers
Y laissant dégoutter leurs flèches d’ombres jusqu’au fond.
Déjà aussi vous dénombriez les ventres des péniches
Tout le blé et le vin passés grâce à vous d’Océan à Méditerranée
Par votre seule main, et le seul vouloir de cette main.
Vous avez rêvé tout fort, plus fort que Charlemagne et François 1er,
Plus fort que le Navarrais aussi.
Vous avez pensé jusqu’aux moindres racines qu’il faudrait
ôter de votre chemin,
A ces roches à bousculer
A ces vallées à joindre par des murs de pierre
Pour que l’eau se sente chez elle dans ce lit que vous
lui destiniez,
Vous avez imaginé la longue machinerie grinçante de vos cent
quatre grandes écluses,
Voulu plus loin qu’un projet, ce sillon que César voulait
tracer en Gaule.
C’était sous Louis Quatorze le Grand et vous rêviez
des deux mers réunies.
Il vous fallait autre chose que les livres à tenir des fermes
du Languedoc,
Autre chose à décompter que les écus et les greniers à visiter,
Votre gérance à vous, c’était la mise en trouée des terres
languedociennes ;
Un long remous à mettre en place au signal de Naurouze,
La belle errance des eaux dans la plaine,
Et ce bassin à bâtir pour donner à la Montagne le "lac"
qu’elle attendait.
Ah ! tous ces couffins de terre remués,
Ces montagnes trouées, ce sol creusé pour conduire là où
vous le désirez l’eau claire des montagnes.
Ah ! la belle prière que vous deviez faire pour mener
au soleil, au bleu de la mer,
Les barques grises de Toulouse.
Les avez-vous aimés ces paysages noirs de la Montagne
Ces paysages où s’en allaient la belle géographie des
ruisseaux et des sources !
Les avez-vous aimées ces terres pour leur tisser un
paysage d’eau !
C’était sous Louis quatorze le grand et vous rêviez
des deux mers réunies.

Naurouze (1664). Au partage des eaux, Riquet expose son projet aux Commissaires du Roi et des Etats
Crédit photo : Collection Jacques Batigne

 

Bernard BLANCOTTE

Couleur Lauragais n°63 - Juin 2004