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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

L’épopée de l’Aéropostale avec Jean Mermoz et Antoine de Saint Exupéry - 1920-1940

Nos amis lecteurs du Lauragais ont très souvent des souvenirs familiaux d’avions qui volent si bas qu’ils accrochent parfois la cime des platanes du Canal du Midi ; ainsi le 6 novembre 1923, un Bréguet 14 s’écrase à Ayguesvives ; le pilote s’appelait Georges Pavan ; il est tué(1). Nous avons conservé des phares qui, à partir de 1925, sont implantés de Montaudran à Narbonne ; celui de Baziège était mis en marche par le meunier de Monteserre ; celui de Montferrand est très bien conservé et bien mis en valeur. Enfin, je dispose d’une documentation d’une richesse exceptionnelle mise à ma disposition par M. Brousse, gérant de l’Hôtel du Grand Balcon, à Toulouse, pendant 40 ans (des ouvrages, des illustrations, une maquette d’avion)(2). Enfin, à Montaudran, les bâtiments de P. Georges Latécoère sont toujours là, peu modifiés(3) ; près de la piste, la tombe de Didier Daurat veille jalousement sur les lieux d’où s’envolait le courrier vers l’Amérique du Sud.


Hôtel du Grand Balcon

La ligne : de Toulouse au Chili
Le paragraphe qui suit est une présentation très succinte de la route de 13 000 km ; sur le premier tronçon Montaudran-Narbonne les avions (Salmson et Bréguet) n’ont pas été construits pour transporter du courrier et parcourir de longues distances ; sans cabine, sans aucun moyen de navigation à bord, les pilotes suivent, à très basse altitude, le Canal du Midi puis la côte jusqu’à Barcelone. En cas de panne (très fréquentes) les appareils se posent sur la plage : il faut 100 mètres pour atterrir à un Bréguet 14 ; ces premiers avions sont très légers et très sensibles au vent, notamment la Tramontane. Sur l’Espagne pas de problème spécial, sauf les orages que l’on évite soigneusement ; ensuite Malaga-Tanger- Agadir sans trop de difficultés...


Aéro base à Barcelone

Avec Agadir, débute la traversée du Sahara et notamment le survol du Rio de Oro, alors colonie espagnole (à hauteur des Iles Canaries), avec deux postes célèbres Cap Juby et Villa Cisneros. La traversée est horrible, la chaleur (45 degrés, une fournaise), les moteurs chauffent ; des brumes sur la côte où, cependant, un atterrisage est relativement facile sur les plages. L’ennemi principal : les Maures, population nomade de guerriers pillards qui tirent sur les avions, font prisonniers des pilotes accidentés, demandent d’énormes rançons. Il faut lire le récit de sa captivité par Marcel Reine(4), prisonnier pendant 3 mois dans le désert ; plusieurs pilotes sont tués ; on organise alors le transport par couple de deux appareils ; en cas de panne, le second emporte le pilote et le courrier.

La traversée de l’Atlantique est réalisée, avec un Laté 28, transformé en hydravion, en 1930, par Mermoz ; le climat au dessus de l’Océan est très inégal ; sous le Tropique, l’Alizé du N-E est très favorable aux avions et aux bateaux à voile : en 1492 c’est l’Alizé qui pousse Christophe Colomb vers l’Amérique ! Mais sous l’Equateur, la zone dite "du pot au noir" est très dangereuse, avec de violents orages, des tempêtes, des vents fous, des pluies énormes.

En Amérique du Sud, la Ligne suit la côte du Brésil avec escales à Bahia, Rio de Janeiro, Porto Alègre, puis en Argentine : Buenos Aires ; puis la Pampa jusqu’à Mendoza. Et là, un obstacle formidable : les Andes, barrière qui semble infranchissable avec des sommets de plus de 6 000 mètres, des cols à 4000 ; les premiers avions suivent les vallées, louvoyant entre les sommets, franchissant des cols inconnus, s’écrasant sur des glaciers, comme celui de Guillaumet. Après les Andes aucune difficulté pour descendre sur Santiago. Jusqu’en 1730 les dangers de la Ligne sont évidents ; chaque vol était une aventure qui parfois se terminait mal : on compte 120 tués ou disparus, pilotes, navigateurs ; 1 tous les 100 kilomètres. Ces hommes courageux ont écrit dans le ciel une épopée sublime.


La ligne : De Toulouse au Chili

Aérodromes et avions de l’Aéropostale
Jusqu’en 1930, on ne dit pas aérodrome mais aéroplace ; c’est à dire un terrain horizontal, une bande gazonnée de 400-500 mètres de long, un modeste hangar, un atelier, des bidons d’essence entassés au soleil, un chef de poste, quelques mécaniciens, 2 ou 3 avions de remplacement. Il faut rendre hommage à ces mécanos exceptionnels pour leur savoir technique, leur abnégation au travail, tous volontaires pour les postes du Sahara ou d’Amérique du Sud ; ils ont construit, puis entretenu la Ligne autant que les pilotes. A Toulouse, l’aérodrome de Montaudran est plus grand avec les principaux bâtiments administratifs ; à côté, les ateliers où l’on construit les Laté ; en ville, l’hôtel du Grand Balcon est le quartier général des pilotes ; à 5 heures du matin ils prennent le tramway qui les conduit au Pont des Demoiselles, la camionnette qui transporte le courrier arrivé de Paris arrive vers 6 heures ; puis c’est le décollage vers l’inconnu. Les phares(5) ont largement facilité la navigation à partir de 1925 ; marchant au néon ils étaient mis en marche par un préposé à la réception d’un télégramme venant de Perpignan, mais on dit, du côté de Baziège, que très souvent le responsable allumait le phare alors que l’avion était passé...

Les avions
Les premiers sont des Salmson 2 A2 et des Bréguet 14 ; pendant la guerre 14-18 ils servaient pour repérer l’emplacement des batteries d’artillerie ennemies. Le plus célèbre est le Bréguet 14 : un biplan, 2 places, en bois, toile de lin; le courrier était disposé à la place de l’observateur (premier vol en 1916) construit en 8 000 exemplaires; masse à vide : 1 240 kg ; très sensible au vent; charge marchande : 300 kg, vitesse de croisière: 125 km/h ; moteur de 300 chevaux. En 1928, Latécoère produit son Laté 28, avion très différent et d’une robustesse légendaire; grand monoplan, en métal léger ; peut emporter 5 tonnes dont 1 tonne de courrier; vitesse : 200 km/h avec des pointes à 240. Après 1930, on utilise des avions d’une facture moderne, le Potez 25 (un trimoteur) surtout des hydravions ; le dernier hydravion construit par Latécoère en 1942 pesait 60 tonnes !


Avion Breguet 14A2

Brève histoire de la société Aéropostale
Il faut distinguer trois périodes ; d’abord les années 1920-27 avec les Lignes aériennes Latécoère, puis les années 1927-32 avec la société Aéropostale, enfin 1933-1940 : Air France.
C’est Pierre Georges Latécoère qui effectue lui même le premier voyage en 1919 Toulouse-Barcelone en atterrissant sur l’hippodrome de cité catalane ; puis il gagne Rabat où il offre un bouquet de violettes à la maréchale Lyautey ; en 1927 l’aménagement de la Ligne en Amérique du Sud coûte des sommes colossales et il doit passer la main à un puissant homme d’affaires Bouilloux-Lafont. Celui-ci crée l’Aéropostale mais les difficultés persistent et la société fait faillite en 1931-32. En 1933 le gouvernement français regroupe plusieurs sociétés en difficulté et crée Air France ; la plupart des pilotes restent dans la nouvelle société dont Mermoz, Guillaumet et Reine.

Des hommes exceptionnels
Parmi les administrateurs, nous en distinguerons trois. Le premier est un pionnier, un visionnaire : Pierre Georges Latécoère originaire de Bagnères de Bigorre, son père dirigeait une société d’ateliers de menuiserie, de mécanique et de construction de wagons ; en 1916, Pierre Georges Latécoère s’installe à Montaudran, il aménage un petit aérodrome et fabrique des avions de reconnaissance, des Salmson puis des Bréguet. Dès 1918 il propose un projet de liaison aérienne Toulouse-Casablanca au gouvernement français qui rejette son plan ; avec des moyens financiers personnels il réussit à faire fonctionner Toulouse-Casablanca dès 1920, et Casablanca-Dakar en 1925. Les choses se gâtent lorsqu’il veut s’attaquer au continent sud-américain, avec une violente opposition des Allemands et des Américains ; en 1927 il vend son groupe à Bouilloux-Lafont.
Pierre Georges Latécoère est le pionnier qui a fait de Toulouse la capitale de l’industrie aéronautique française. Bouilloux-Lafont, industriel français établi au Brésil depuis le début du siècle donc très bon connaisseur des milieux économiques sud américains se heurte aux Allemands et aux Américains ; il étend le réseau des aéroplaces, s’installe aux Açores et aux Iles du Cap Vert. l’Aéropostale est devenue une entreprise géante mais avec la grande crise de 1929 des difficultés financières apparaissent et en 1931 c’est l’effondrement.
Didier Daurat termine la guerre de 14-18 comme capitaine d’une escadrille de chasse ; il arrive à Toulouse en juillet 1919 et devient rapidement directeur de l’administration ; il a laissé la légende d’un homme de fer, un chef très autoritaire et dur, admiré par beaucoup, craint par tous, haï par certains. Il sait distinguer les meilleurs pilotes : c’est lui qui a lancé Mermoz.

Mermoz
Parmi les pilotes, Jean Mermoz est le plus célèbre ; pilote militaire il entre chez Latécoère en 1924 ; il est affecté au tronçon Casablanca-Dakar puis en 1927 à l’Amérique du Sud où il joue le principal rôle pour construire la Ligne entre le Brésil et le Chili. En 1930, il effectue, avec Dabry et Gimié la première traversée postale St Louis du Sénégal-Natal. Le 7 décembre 1936 il trouve la mort alors qu’il accomplissait sa 24ème traversée de l’Atlantique Sud, avec l’hydravion "Croix du Sud". Appelé "l’archange" Mermoz est la figure emblématique de l’Aéropostale.


Jean Mermoz

Guillaumet
Pilote d’un courage exceptionnel, il traverse 393 fois la Cordillère des Andes et reçoit le surnom "d’ange de la Cordillère" ; il disparait avec Reine, au dessus de la Méditerranée en 1940. Reine est le quatrième mousquetaire des as de l’Aéropostale ; deux fois prisonnier des Maures ; il faut lire son livre "Chez les fils du désert". Sa disparition en 1940 vient d’être élucidée ; l’avion civil qu’il pilotait a été abattu par un avion de chasse italien...


Henri Guillaumet

Saint Exupéry
Il est né le 29 juin 1900 à Lyon, après des études au collège Sainte Croix du Mares et à l’Ecole des Beaux Arts en 1920 et 1921, il apprend à piloter à Strasbourg et entre en 1926 chez Latécoère. Il débute comme pilote sur le tronçon Toulouse-Casablanca, puis Casa-Dakar ; nommé chef d’aéroplace à Cap Juby il se distingue par des dépannages d’avions en zone insoumise du Rio de Oro et commence à écrire sur l’aviation dans le livre "Courrier Sud" ; ce fut le début d’une oeuvre littéraire très importante consacrée à l’aviation dans ses rapports avec les hommes. Un temps, en Argentine (1929) il est directeur de l’Aéroposta Argentina ; revenu à Paris il édite "Vol de nuit". En février 1938 il tente une liaison New York-Buenos Aires, mais son avion surchargé d’essence s’écrase au décollage, lui occasionnant de graves blessures ; il publie la même année "Terre des hommes", fait des reportages en Espagne pendant la guerre civile qui ravage le pays. Après l’armistice de 1940 il gagne les Etats Unis par le Portugal ; il publie alors "Le Petit Prince". Malgré ses handicaps physiques il réussit à s’engager dans l’aviation américaine en 1943 en Afrique du Nord libérée ; il disparait le 31 juillet 1944 au cours d’une mission de reconnaissance sur la région lyonnaise et la Provence et ne rejoint pas sa base en Corse en ayant été probablement abattu par un chasseur allemand sur la Méditerranée ou touché par la DCA. Saint Exupéry est une personnalité très attachante à la fois comme pilote mais surtout comme un écrivain dont les ouvrages connaissent un rayonnement international ; "Le Petit Prince" est aujourd’hui étudié dans toutes les écoles de France.


Guillaumet & Saint Exupéry

Saint Exupéry

Les pilotes de l’Aéropostale ont écrit une des pages les plus émouvantes de l’aviation civile de la France.

Jean ODOL
Crédit photos :
Collection Jean Odol
(1) Je suis un des rares ayguesvivois à connaître l’emplacement approximatif de la chute, à proximité de bornes délimitant la propriété du Canal, à 500 m environ de mon domicile (souvenirs familiaux).
(2) Je tiens à remercier chaleureusement M. Jean Brousse qui m’a ouvert toutes ses archives, certainement uniques et venue de l’Hôtel du Grand Balcon.
(3) Lire : "Toulouse-Montaudran" Gérard Rey Loubatières 2003.
(4) Hubert Reine "Marcel Reine, héros de l’Aéropostale" - Loubatières 2002
(5) Jacques Batigne : "Les phares de l’Aéropostale" Couleur Lauragais n° 47 novembre 2002.
Bibliographie
Dossier Brousse : "L’Aéropostale"
Patrick Poivre d’Arvor : "Courriers de nuit" 2003
Hubert Reine : "Marcel Reine" 2003
J.P Gaubert : "L’Aéropostale" 2002

Couleur Lauragais N°61 - Avril 2004