


Gens d'ici
Ernest Imbert : centennaire en Lauragais
Ernest 
    Imbert a fêté ses 100 ans le 6 novembre 2003. Une grande fête 
    a été organisée en son honneur ce jour-là. Il 
    a eu le bonheur d’y retrouver plus de 200 personnes parmi celles qui 
    l’ont accompagné tout au long de sa vie, sa famille, ses amis 
    et connaissances, ses compagnons de travail.
    Cent ans de vie en Lauragais durant lesquels il a assisté à 
    d’énormes changements tant sur le plan du mode de vie que sur 
    celui de l’évolution des technologies. Il a également 
    connu les deux guerres du siècle dernier et est parti au front en 1939.
    Couleur Lauragais l’a rencontré et vous fait part de ses souvenirs. 
    Il les a d’ailleurs lui-même consignés dans un recueil 
    de mémoires dont vous trouverez quelques extraits au fil des paragraphes.

    Crédit photo : Couleur Média
La 
    jeunesse à Saint Laurent
       Ernest 
    Imbert est né à Montferrand le 6 novembre 1903 dans une ferme 
    nommée "les Touzets", située dans le hameau de Saint 
    Laurent. Ses parents s’y étaient installés en 1896 et 
    à cette époque ils n’étaient pas bien riches : 
    
    - "Mon père qui faisait de la musique avant de se marier, a vendu 
    son instrument, une basse, pour acheter des draps sitôt après 
    le mariage".
    Six enfants sont nés de cette union dont Ernest et son frère 
    jumeau Léon. Ses parents ont beaucoup travaillé et petit à 
    petit les terres bien cultivées ont donné de bonnes récoltes 
    :
    - "On commençait à utiliser les engrais chimiques ; et, 
    le fumier des moutons ajouté à celui des bovins permettait de 
    fumer tous les ans une partie des champs. Mon père a remplacé 
    l’araire par la charrue brabant réversible ; la faux par la faucheuse 
    munie de rabatteurs puis par une machine lieuse qui fauchait et liait les 
    gerbes. Les aînés ont travaillé avec les parents qui étaient 
    ainsi un peu soulagés".
    Les enfants les plus jeunes dont Ernest et son frère Léon allaient 
    à l’école à Saint Laurent à environ deux 
    kilomètres de la ferme. Il fallait passer à travers bois, dans 
    des sentiers qui étaient souvent boueux en hiver :
    - "Quand il faisait bien froid, note mère nous mettait la mantille, 
    genre de manteaux sans manches, de forme ample, serré au cou et muni 
    d’un capuchon. Nous étions chaussés de sabots aux tiges 
    montantes en cuir ou de bottinettes, genre de soulier à tige montante 
    et à semelles de bois. A la belle saison, nous étions vêtus 
    d’un pantalon court, d’une chemise, d’un tricot et d’un 
    tablier noir que l’on nommait saloupéto en patois, et nous étions 
    chaussés de sandales".
    Ernest était un bon élève et aimait beaucoup lire. Il 
    a passé son certificat d’études en 1916 à Castelnaudary 
    et a été reçu, ce qui était exceptionnel à 
    cette époque :
    - "Je me souviens encore du titre de la dictée : Marguerite était 
    la neuvième enfant de la famille". 
    La maîtresse proposa alors à son père de lui permettre 
    de poursuivre ses études jusqu’au brevet. Mais hélas, 
    la guerre était déclarée, les hommes étaient mobilisés 
    au front et il y avait donc besoin des femmes et des enfants pour aider aux 
    travaux de la ferme. Les études s’arrêtèrent donc 
    là à son grand regret.
La 
    guerre : cause du déménagement à Lassalle
       En 
    1916, tous les hommes valides jusqu’à 45 ans ont été 
    mobilisés au front. Le propriétaire de la ferme de Lassalle 
    située à trois kilomètres des Touzets propose alors au 
    père d’Ernest de venir s’y installer pour remplacer l’ancien 
    fermier qui avait été tué. Il accepte tout en conservant 
    le fermage des Touzets :
    - "Pour notre père, le plus important, c’était le 
    travail, la remise en état des terres que deux années de semi-abandon 
    avaient laissées quasiment en friche. Les premiers temps furent durs 
    ; mais, les jours, les mois, les années passant, nous étions 
    devenus capables de fournir le travail des hommes. A 15 et 13 ans, nous étions 
    capables de labourer, sarcler, charger et conduire de lourdes charrettes de 
    fourrage".
    L’après-guerre fut bénéfique pour la famille Imbert. 
    En effet, le prix du fermage avait été fixé bas en 1915 
    et n’était pas indexé. Après la guerre et l’inflation 
    qui s’en suivit, le propriétaire des terres se vit contraint 
    de vendre la propriété ; le fermier étant prioritaire, 
    le père d’Ernest décida de l’acheter. Il avait par 
    ailleurs bien fait prospérer ses récoltes et pu les vendre facilement 
    car le pays manquait de tout.
|  Crédit photo : Collection Ernest Imbert |  Crédit photo : Couleur Média | 
1930 
    : Ernest se lance dans le commerce
       En 
    1930, Ernest se marie. Il épouse la fille d’un commerçant 
    et quitte Lassalle pour s’installer au Ségala. Ils auront trois 
    enfants. Ernest entame donc une seconde vie tout à fait différente 
    de la première. Il va d’abord seconder son beau-père dans 
    son commerce. Il s’agit d’une épicerie qu’il avait 
    fondée avant la guerre. Ils fournissent à la population locale 
    tout ce qui est nécessaire pour vivre quotidiennement : épicerie, 
    mercerie, vêtements, chaussures... Ernest tient à jour la comptabilité 
    ce qu’il apprécie beaucoup et le rapproche de ses chères 
    études. Il fait également trois fois par semaine la tournée 
    en camion dans les villages alentours. Pendant ce temps, sa femme et sa belle-mère 
    servent les clients dans la boutique.
    Plus tard, il prendra la succession de son beau-père. Tout comme son 
    propre père, il n’aura de cesse que de faire prospérer 
    le commerce.

    Crédit photo : Collection Ernest Imbert
1962 
    : une retraite active
     A 
    65 ans, Ernest décide de prendre sa retraite, pas pour se reposer mais 
    pour une nouvelle activité. Il va alors s’occuper des quatre 
    exploitations qu’il possède. En effet, le commerce ne lui a pas 
    fait oublier ses origines paysannes. "J’ai gardé mes racines 
    à la terres", dit-il. Il dirigera ainsi pendant de nombreuses 
    années encore jusqu’à 120 hectares de terres cultivées.
A 75 ans, il décide de se mettre à pratiquer le vélo. C’est ainsi qu’il va parcourir les routes du Lauragais et même au-delà durant 15 années. Il a enfin la possibilité de découvrir les beauté de la région. Il s’équipe d’un appareil photo et se constitue une photothèque importante. Elle donnera d’ailleurs lieu à une exposition au Ségala durant l’été 2002.
A 90 ans, il renonce à parcourir les routes à vélo mais il achète un vélo d’appartement et encore aujourd’hui, il continue à l’utiliser régulièrement. Ernest tient en effet à garder la forme, Il continue à faire sa chambre dans la maison qu’il occupe avec son fils et sa belle-fille,et soigne ses plantes dans le jardin. Il fait régulièrement une promenade et se rend au restaurant "le relais de Riquet" que tient désormais sa petite fille, et qui n’est autre que l’endroit même où il exerçait son commerce et où trois générations s’y sont ainsi succédées. Hélas, il s’y rend de moins en moins car ceux de sa génération avec lesquels il avait l’habitude de discuter ont disparu souvent depuis de nombreuse années.
Il 
    n’est pas aisé de résumer en quelques paragraphes cent 
    ans d’une vie. Mais, tout comme les enfants ne se lassent jamais d’entendre 
    leurs parents, grands-parents et arrières grands-parents leur parler 
    de la façon dont ils ont vécu, c’est avec grand plaisir 
    que nous avons écouté ce vieil homme nous raconter quelques 
    épisodes de sa vie.
    Il nous reste à souhaiter un bon anniversaire à Ernest Imbert, 
    qui force l’admiration par sa volonté, sa bonne humeur et sa 
    gentillesse. Il nous donne à tous une leçon de vie et confirme 
    encore une fois l’adage : "Le travail, c’est la santé". 
    Nous lui souhaitons longue vie, toujours affectueusement entouré par 
    les siens.
D’ailleurs, certains de ses amis sont venus de loin pour le lui souhaiter. Il s’était lié quelques années auparavant avec un couple de danois, quinquagénaires aujourd’hui. Ils avaient fait une halte au Ségala lors d’un voyage sur le canal, et depuis, correspondaient régulièrement avec lui par courrier. Ils sont venus spécialement de chez eux en bateau pour faire une surprise à Ernest le jour de ses cent ans. Quelle belle preuve d’amitié !

    Crédit photo : Collection Ernest Imbert

    Crédit photo : Collection Ernest Imbert
Interview 
    :
    Christine LE MORVAN
Couleur Lauragais N°58 - Décembre 2003/Janvier 2004