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Couleur Lauragais : les journaux

AU FIL DE L'AIR

Sur les pistes de l’Aéropostale

Pierre-Georges Latécoère d’abord, l’inventeur et le promoteur de la première liaison aérienne commerciale, puis Beppo de Massimi et Marcel Bouilloux-Laffont ensuite, entre 1918 et 1936, ont fait “l’Aéropostale" qui n’en finit pas de perpétuer sa légende. Fabuleuse histoire dont les pilotes prestigieux, tels que Antoine de Saint-Exupéry, Jean Mermoz, Henri Guillaumet (dont on commémore le centenaire), Marcel Reine, Didier Daurat et bien d’autres, partant de Toulouse, ont survolé le Lauragais, avec des avions légendaires.

Aujourd’hui, pour commémorer les exploits de ces héros de l’aviation de cette époque historique, un groupe de passionnés, au sein de l’association : Air-Aventures, font revivre à des jeunes (et moins jeunes...!) pilotes l’extraordinaire épopée de la "Ligne". En cet automne 2002, ils marqueront le 20ème anniversaire, plus récente celle-là, de cette aventure humaine : Le Rallye Aérien Toulouse-Saint-Louis du Sénégal.
Au moment où j’écris ces lignes, une trentaine d’avions et équipages (concurrents et organisateurs) se rassemblent sur les aérodromes toulousains de Lasbordes et Montaudran, d’où ils décolleront pour un périple de près de 5 000 kms, qui les fera traverser l’Espagne, le Maroc, la Mauritanie, pour arriver à Saint-Louis du Sénégal, aux portes de Dakar.


Les Phares de la Ligne
Plus près de nous, notre Lauragais conserve très précieusement des témoignages matériels de cette admirable Épopée de l’Aéropostale ; les Phares Aéronautiques, plus communément appelés chez nous : "les lanternes de l’aviation".
C’est de cela que je vais succintement vous parler.
André Brismontier, Ingénieur de la Navigation Aérienne à la Direction de l’Aviation Civile (D.A.C.-SUD) de Blagnac, nous dit : "Les lumières de la Ligne - Témoins des premières heures de l’aviation commerciale, les phares aéronautiques constituent un patrimoine oublié des années 1920/30. Ils furent les aides indispensables au développement du vol de nuit. Baziège et Montferrand virent passer régulièrement Mermoz, Saint-Exupéry et leurs compagnons, tenus d’assurer "la Ligne" à toute heure..."
Au lendemain de la première guerre mondiale, le service de navigation aérienne prit en charge la gestion de l’infrastructure aéronautique. Il apparut bien vite que le développement de l’aviation commerciale était lié à la nécessité de voler de jour comme de nuit. Il ne s’agissait pas encore de vol sans visibilité, mais simplement de vol à vue de nuit. Le S.N.A.E. développa alors à partir de 1923 un réseau de phares aéronautiques destinés à constituer une "carte lumineuse des routes aériennes" pour le trafic nocturne sur les grands itinéraires.
En 1932, il existait près de 140 phares de routes, certains blancs à éclipses, d’autres rouges au néon clignotant (le rouge perce mieux la brume).
Sur la route aérienne :
Paris-Bordeaux-Toulouse-Narbonne-Perpignan, chaque phare émettait une combinaison lumineuse traits/points correspondant au code morse d’une lettre d’identification du lieu. Par exemple, Baziège avait la lettre G (soit en morse :
___ ___ . longue, longue, brève) Montferrand la lettre R (soit en morse . ___ . brève, longue, brève) et ainsi de suite.
Désaffectés en 1940, ils ont été épargnés de la destruction (par faits de guerre) ou de simple démolition et comptent parmi les ultimes vestiges du genre. Si leur intérêt esthétique est discutable, ils ont cependant une valeur historique certaine, car la prestigieuse "Ligne Aéropostale de l’Atlantique Sud" (où se sont illustrés les grands pilotes cités plus haut) partait de Toulouse vers Narbonne, Perpignan, le col du Perthus, Barcelone, Tanger, Dakar et Natal en Amérique du Sud.

Les lanternes de l’Aviation
Dans le Lauragais, seules subsistent ces deux lanternes (Baziège et Montferrand) sur l‘axe Toulouse Narbonne, qui en comptait une dizaine. Les phares de Castelnaudary, Alzonne, Carcassonne, Barbaira ont totalement disparu. Ceux de Lézignan et Sallèles d’Aude sont encore en place. Plus loin ceux de Fleury et Fitou ont également disparu. Ils constituaient les premiers jalons lumineux de l’itinéraire balisé jusqu’en Afrique à l’initiative de la compagnie. Ce sont des pylones métalliques enrobés de ciment d’une hauteur de 7 à 8 mètres, surmontés d’une nacelle carrée supportant l’ensemble du phare lumineux. Celle-ci également métallique, était accessible par une échelle en place sur le pylone.


Phare aéronautique de Baziège

La ville ou le village était impliqué dans leur fonctionnement. En effet, ces phares étaient allumés sur demande et le commandant de l’aérodrome de départ devait télégraphier le créneau d’allumage au préposé de la "lanterne", via La Poste. Quels étaient-ils ? A Baziège, il s’agissait du meunier, son moulin à vent de Montesserre était proche du phare sur la colline. A Montferrand, c’était le garde-champêtre. A Castelnaudary (En Barrié, sur la commune du Mas Sainte Puelles) c’était le jardinier du château, à Barbaira l’instituteur... Ainsi, cette chaîne de villageois a-t-elle contribué au développement de l’aviation commerciale. Prédécesseurs à leur manière des contrôleurs aériens d’aujourd’hui, en assurant la régularité et la sécurité du trafic. Ils méritent de ne pas être effacés de la mémoire, précise André Brismontier.
Leurs enfants et quelques anciens sont encore là pour en témoigner. Et à ce sujet, je vous dis quelques anecdotes de Mademoiselle Jeannette Pinel, ancienne secrétaire de Mairie alors, mais sur-tout la fille du garde-champêtre, le préposé à l’allumage de la lanterne. Je l’avais rencontrée il y a une quinzaine d’années dans sa petite maison de Montferrand. Elle se souvenait dans les années trente, que son père recevait par télégramme de l’aéroport de Perpignan ou de Montaudran, l’avis de passage d’un avion de l’Aéropostale. Mais il arrivait, avec la lenteur de la transmission ou de la disponibilité du garde-champêtre préposé, que le "coucou" était là avant que la lanterne ne soit allumée...! Sa mémoire me signale que le maire du village voisin d’Airoux, lui disait avoir vu des atterrissages d’avions dans les champs de sa commune (cela était fréquent avec les pannes de moteur). Et quelle joie de voir ces pilotes sortir de leur carlingue tout en cuir vêtus, c’étaient des As...! Comme cet autre atterrissage malheureux du côté d’Ayguesvives, en 1923/24 où le pilote fut tué. Son avion, un Bréguet XIV, volant très bas, aurait accroché les platanes des bords du Canal du Midi... Jeannette Pinel, que nous saluons, a continué après le fonctionnement des "lanternes", a être une auxiliaire précieuse, de la navigation aérienne. Les aéroports de la région, Agen, Blagnac, Carcassonne, lui téléphonaient pour savoir... le temps qu’il faisait au Seuil de Naurouze, ligne de partage des eaux et des climats...


Phare de Montferrand

"Mlle Pinel, comment est le plafond aujourd’hui ?..." Elle quittait alors son bureau de la mairie pour aller à la fenêtre scruter le ciel qu’elle connait bien, du haut du joli village perché de Montferrand. Ainsi, régulièrement cette "Mademoiselle Météo", donnait de précieux renseignements sur la direction des vents et la densité des nuages. Elle me montrait fièrement la médaille qui lui avait été remise en récompense de ces services métérologiques...
Beaucoup d’autres avions de légende, comme les Salmon, les Latécoère (Laté 26 et 28) qui volaient à 120 kms/h et 160 kms/h respectivement, ont survolé très bas notre Lauragais très régulièrement en ces temps-là.
Comme de nos jours d’ailleurs, mais ce sont des Airbus, Boeing et autres, volant très haut et très vite !
Mais cela est une autre histoire...

 

Jacques BATIGNE
Voir article de Jean Odol
CL n°8, déc.1998/janv.1999
Crédit photos : Collection Jacques Batigne


> voir aussi : Autre article (CL47) : Un avion se pose à Caraman en 1913

 

Couleur Lauragais N°47 - novembre 2002