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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

La guerre de 1914-1918 et ses conséquences en Lauragais

La guerre de 1914-1918 apparaît bien éloignée dans le passé du Lauragais. Il s'agit d'une période qui, pour certains, semblerait presque proche de la préhistoire, une période tragique cependant et fondamentale avec les années qui suivent (1919-1930). Elle éclaire en effet la formation et la composition de la population actuelle du Pays des Mille Collines. Retour sur la grande guerre telle qu'elle a été vécue dans le Lauragais.

 


Baziège : monument aux morts (Crédit photo : Jean Odol)

Sur le monument aux morts de Pouze, près de Montgiscard, on peut trouver la citation suivante, souvenir de la première grande guerre :

" Déjà la pierre pense où ton nom s'inscrit
déjà tu n'es plus qu'un mot d'or sur nos places
déjà le souvenir de tes amours s'efface
déjà tu n'es plus que pour avoir péri ".

Louis ARAGON

Un bref raccourci, en une seule phrase : en 1920, pour remplacer les dizaines de milliers de paysans lauragais tués, des milliers de travailleurs immigrés ont sauvé l'agriculture du Lauragais. Toutes les communes possèdent un monument aux morts élevé à la mémoire de ceux qui n'ont pas revu leur clocher, symbole concret de cette guerre épouvantable.

Le Lauragais en crise de l'avant-guerre
De Castanet à Bram, de Puyl-aurens à Belpech, le Laura-gais est très fortement peuplé par une masse de paysans et de paysannes nécessaires aux travaux agricoles qui se font, presque tous, ma-nuellement. Cette population traverse une longue crise depuis 1860 (date de l'arrivée du chemin de fer). Avec une natalité très faible et une forte mortalité, il n'y a plus de remplacement des générations. La région est le théâtre d'un très fort exode rural des jeunes qui quittent la campagne pour aller travailler à Toulouse, à Carcassonne, à Pamiers, surtout vers le Bas-Languedoc (Béziers, Narbonne) où l'on reconstitue, vers 1890, le vignoble détruit par le phylloxéra.
L'agriculture présente les caractères traditionnels du XIXème siècle : les travaux reposent sur l'énergie humaine et animale. Les bufs sont massivement utilisés pour les labours, les charrois ; l'homme, avec ses bras, bêche, sarcle le maïs et les vignes. Quelques éléments de progrès mécaniques viennent améliorer la situation des hommes : le brabant permet des labours plus profonds, la moissonneuse-lieuse facilite la moisson, la batteuse entraînée par une locomobile est la base de la dépiquaison. Les productions sont le blé et le maïs ; le blé, seul, est commercialisé. Le maïs sert encore à l'alimentation des hommes, ainsi qu'à un important élevage de volailles et des porcs. En Lauragais, l'agriculture est la seule activité économique et les hommes sont tous soit des paysans, soit des artisans travaillant pour l'agriculture ou de petits commerçants oeuvrant pour les marchés agricoles. C'est sur cette population paysanne, en crise, que s'abat la guerre de 14-18.


Pouze : monument récent et original
(Crédit photo : Jean Odol)

Une guerre de paysans
En 1914, la France dans son ensemble a conservé une très forte proportion de paysans, environ 50% de la population active. En Lauragais cette population voisine 65% à 70%. Dans les autres pays les pourcentages sont à peu près les mêmes, excepté l'Allemagne (qui en a moins) et la Russie (qui en a plus). Les armées sont composées essentiellement de fantassins venus des campagnes européennes, et cela est spectaculairement vrai pour les soldats français et lauragais. Les lauragais sont pratiquement tous des deuxième classe, ou caporaux, parfois sergents, mais toujours aux premières lignes dans les tranchées, toujours soumis au feu permanent de l'ennemi, d'où les pertes énormes décimées par l'artillerie ; ils sont devenus de "la chair à canons".
Les armées françaises sont enterrées face à face le long de la ligne de front qui s'étend de la mer du Nord à la Suisse, dans un réseau de tranchées quasi infranchissable. Les hommes défendant leur ligne sont sans cesse exposés aux coups des mitrailleuses adverses, surtout des obus de l'artillerie. L'enfer des tranchées explique la lourdeur des pertes. Deux chiffres : au cours de la bataille de la Marne (septembre 1914), un million de soldats français sont hors de combat (tués et blessés), et l'offensive de Nivelle au Chemin des Dames (avril 1917) qui coûtera 60 000 hommes le premier jour. Beaucoup de jeunes lauragais risquent leur vie du côté de Verdun.

Le Lauragais pendant la guerre
Les hommes ont disparu des campagnes. On y retrouve seulement des femmes, des jeunes filles, des garçons de 10 ans qui sarclent le maïs, des adolescents de 15 ans qui labourent avec le brabant. A 18 ans, ceux-ci partent, ils sont mobilisés et beaucoup ne reviendront pas. D'après les souvenirs familiaux, une de mes aïeules racontait le spectacle insolite du marché de Baziège, le samedi, où il n'y avait pas un seul homme valide, sinon des militaires blessés en convalescence, et seulement des hommes septuagénaires qui s'affairaient pour vendre leur maigre récolte de blé. C'était là, au marché à la volaille, que circulaient les nouvelles car "le jouna1" (La Dépêche) était peu lu par les paysans. Ainsi on pleurait en apprenant que Jean X était mort, que Pierre Y (celui de Montesquieu) était disparu, qu'Alphonse Z était mort à Salonique du choléra...
L'agriculture est en survie, grâce au labeur des femmes. Solidement charpentées, avec une puissance physique voisine des hommes, elles labourent ou elles fauchent... Le travail des paysannes lauragaises, durant la guerre est admirable.


St Félix : une très longue liste de disparus
(Crédit photo : Jean Odol)

Une hémorragie effroyable
Les pertes durant la guerre sont énormes : 1 400 000 disparus pour l'ensemble de la France, 3 millions de blessés graves dont un million d'amputés. Le symbole matériel de ces disparus est le monument aux morts de chaque commune du Lauragais sur lequel sont inscrits leurs noms. La liste est toujours impressionnante, voir par exemple ceux de Castelnaudary, Revel, Caraman, Belpech ou Bram. A Baziège, 53 noms. A Salles sur l'Hers, la stèle originale comporte les noms des disparus durant les années 1920 et 1921. On découvre qu'ils sont aussi nombreux que durant la période des combats ; en effet, il faut ajouter ceux qui, rentrés en 1919 sont gazés, amputés, tuberculeux, traumatisés : la mort va les frapper durement. On doit ajouter encore le nombre d'enfants qui n'ont pas vu le jour, le père potentiel ayant été tué à Verdun ou au Chemin des Dames. Et encore la surmortalité des civils due à l'absence des médecins mobilisés. Au total, on peut estimer que le total des pertes démographiques est celui de la liste du monument multiplié par 2. Il s'agit d'une hémorragie sans précédent de l'histoire du Lauragais (1), comparable aux épidémies de peste (la Peste Noire de 1348 a ainsi tué un tiers de la population, les dernières épidémies de 1629 et 1653 environ 15 à 20%). En 1919-1920, si la paix est revenue, la machine économique du Lauragais est paralysée.


St Félix : un message pathétique
(Crédit photo : Jean Odol)

Appel massif à des travailleurs étrangers
Le recrutement massif des travailleurs européens est une impérieuse nécessité. Des accords furent passés entre le gouvernement français et les gouvernements étrangers pour orienter vers le Lauragais (et le Bassin aquitain) des candidats à l'émigration, par exemple avec l'Italie où Mussolini prend le pouvoir en octobre 1922. De grands propriétaires du Laura-gais s'adressent au consulat d'Italie à Toulouse pour réclamer des travailleurs. Des espagnols, plutôt spécialistes de la vigne et de l'arboriculture, s'installent dans le Bas Languedoc et dans la région de Bram. Des mineurs polonais viennent nombreux dans les mines de Carmaux et d'Alès, quelques paysans en Lauragais, également des suisses. Mais les plus nombreux, et de très loin, sont les italiens.

Les italiens ont sauvé l'agriculture du Lauragais
Ils sont presque tous originaires de régions cultivant blé et maïs et utilisant des bufs pour le travail, comme en Lauragais. Ils viennent de la basse plaine du Pô, des provinces d'Udine, Trévise, Venise , autant de zones qui avaient été ravagées par la guerre contre l'Autriche et où beaucoup de jeunes souhaitaient partir vers l'étranger pour fuir des conditions de vie misérables. Un historien (2), spécialiste de l'agriculture audoise, les connaît bien : " ils sont venus, un par an, une maigre valise à la main, un peu égarés, comme sont tous ceux qui ont quitté leur pays ; c'était dans les années 1920 à 1930 ; ils arrivaient tous des provinces d'Udine et de Trévise, de belles vallées ouvertes au pied des Dolomites, abondantes en eau et en soleil, mais la guerre autrichienne y était passée et repassée pendant quatre ans. La vie rurale y est alors misérable, les familles sont nombreuses, groupées sur des fermages de deux, trois hectares, rarement plus. Il reste peu de choses pour la table de ceux qui travaillent la terre. C'est aussi le temps de la révolution mussolinienne : grandes ambitions, où ce sont les "petits" qui sont malmenés (bâton, huile de ricin et la taule !). On leur avait dit que dans cette région de Toulouse il y avait là une campagne ressemblant un peu à la leur, mais qui se vidait depuis de longues années ; des métairies tombaient en ruine, mauvais chemins, mauvaises toitures et mauvaises herbes. Alors entre familles et amis, on se cotise pour acheter un ticket de train de Venise à Toulouse, ce sera pour le plus hardi et on attendra de ses nouvelles... Dès qu'on a trouvé un toit, une terre, un patron, la famille peut arriver... L'accueil (par les autochtones) est très mitigé (bon parfois, neutre le plus souvent, mais bien des fois mauvais) ; la xénophobie n'est pas absente du Lauragais.

Les italiens étaient nombreux. Vers 1930 ils constituent 15 à 20% de certaines communes. L'intégration se fait très rapidement par des mariages précoces ; dès 1923, des filles lauragaises épousent de jeunes italiens. L'école est un creuset où se nouent de solides amitiés. J'ai personnellement fréquenté de nombreux jeunes italiens et italiennes à l'école communale d'Ayguesvives. Ils étaient une dizaine sur 35. Nous nous entendions bien et j'ai conservé parmi eux, de très solides amitiés qui perdurent toujours, n'est-ce pas Andrighetto ?


Classe d'Ayguesvives - 1934 - 1 dizaine d'enfants italiens
(Mr J. Odol : voir croix)(Crédit photo : Collection J. Odol)

Travailleurs acharnés, sobres, économes, beaucoup ont réussi matériellement en devenant propriétaires. Sur la seconde génération, ils sont artisans, fonctionnaires, certains même officiers dans l'armée française et se font tuer en Indochine. Le svmbole le plus célèbre de ces promotions sociales est la famille Spanghero de Payra sur l'Hers et Castelnaudary ; célèbres joueurs de rugby, ils sont actuellement de remarquables capitaines d'industrie.
Les italiens ont permis la remise en marche de l'agriculture du Lauragais, et aussi d'autres régions comme le Gers ou le Tarn et Garonne ; leur rôle a été fondamental.

La guerre de 1914-18 marque la fin d'un certain type de population lauragaise, homogène et occitanophone. Après 1920 et jusqu'en 2001, des vagues de peuplements s'installent successivement en Lauragais tour à tour italiens, polonais, suisses, espagnols... Le Pays des Mille Collines du XXI, tour à siècle, une région de l'Europe jeune, dynamique et en plein essor.

Jean ODOL

(1) Voir les travaux de Jean Odol sur la guerre dans les communes de Montgiscard, Ayguesvives, St Léon, Nailloux et le gros dossier documentaire sur les dix communes du canton de Nailloux pendant la guerre
(2) Jean Piat : " La terre, le vent, les hommes " ( du Lauragais) - 1985

Bibliographie :
Jean Odol : " La guerre de 1914-1918 et la population d'Ayguesvives " - 1990



Couleur Lauragais N°36 - Octobre 2001