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Couleur Lauragais : les journaux

Dossier

Le petit train de La Piège de Castenaudary à Belpech
1903 - 1933

Couleur Lauragais vous présente un article sur une ligne de chemin de fer aujourd'hui disparue. Seules quelques gares subsistent encore aujourd'hui (Pech Luna, Peyrefitte ou Pécharic et le Py) et permettent encore de garder le souvenir de cette ligne.

Gare de Salles/l'Hers (Collection Gastion Tissinier)
Gare de Salles/l'Hers (Collection Gastion Tissinier)


La région de la Piège

La Piège est une microrégion lauragaise comprenant une cinquantaine de petites communes regroupées dans les cantons de Fanjeaux, Belpech et Salles sur l'Hers (département de l'Aude). Il s'agit d'une région à l'agriculture médiocre avec beaucoup de forêts, d'immenses landes et friches. Aux sols, bien maigres, s'ajoute le handicap d'une sévère sécheresse estivale. Vers 1880-1900 la Piège, peu peuplée, produisait cependant du blé, de l'orge, du fourrage et des volailles. Elle s'était aussi spécialisée dans la production de l'avoine qu'elle vendait dans l'immense vignoble du bas Languedoc, de Béziers à Narbonne. Les landes accueillaient des troupeaux de moutons très nombreux.

Une région enclavée
La grande voie ferrée transversale Toulouse-Narbonne est ouverte en 1857 avec une gare très importante : Castelnaudary. La ligne de l'Ariège, Toulouse-Foix, date de 1865. Entre ces deux grands axes : rien. Aussi, les produits expédiés de Belpech (le blé notamment) gagnaient Mazères ou Pamiers, "transitaient par Toulouse avant de redescendre sur Castelnaudary et jusqu'aux régions viticoles par la voie du Midi" effectuant un parcours inutile, de Belpech à Castelnaudary estimé à 140 kilomètres (d'après Auguste Armengaud).

Le tracé de la ligne
La nécessité de construire un cordon ombilical vers la capitale Castelnaudary s'imposait donc pour ramener vers la capitale lauragaise les produits de l'activité économique de la Piège. C'est le Conseil Général de l'Aude qui crée la "Compagnie des Tramways à vapeur du département de l'Aude" en 1899 et la première ligne Carcassonne-Caunes Minervois est ouverte le 10 mars 1901.
La ligne Castelnaudary-Belpech est livrée au trafic le 1er janvier 1903 pour les tronçons de Castel à Salles et le 14 juin 1903 entre Salles et Belpech. Partant de Castelnaudary, le tracé initial desservait Villeneuve la Comptal, Montauriol, carrefour de Saint Hubert mais laissait Salles à 1800 m de Saint Hubert. Les protestations véhémentes du conseil municipal, puis l'appui du sénateur E. Mir, firent finalement modifier le tracé en faveur de Salles. Au delà, la voie passe à proximité de Peyrefitte, Mayreville, Pech Luna, Pécharic et le Py, Plaigne, Tresmezes, Belpech.

Gare de Plaigne (Crédit photo : Jean Odol)
Gare de Plaigne (Crédit photo : Jean Odol)

Un petit train champêtre
La voie ferrée métrique était posée au bord de la route sans protection spéciale, ce qui explique la largeur exceptionnelle de quelques routes dans cette région. Les souvenirs de cette ligne sont encore bien vivants dans la population et nous avons rencontré un usager qui nous a raconté son voyage de 15 km.
Le petit train ne traverse aucune agglomération et se glisse de vallées en vallons, de serres en collines arrondies, surmonte avec difficulté des pentes de 40 pour mille, des descentes "dangereuses", lutte contre le vent d'autan, toujours à la vitesse de 15 km à l'heure. Les points les plus difficiles étaient les montées abruptes des nombreuses collines et, pour alléger le convoi, on invitait les voyageurs à descendre et à poursuivre à pied ! Le voyage durait 2h30 environ. Ainsi, en partant de Castelnaudary à 8h45, on atteignait Belpech (distance 40km) vers 11h15. Dans l'autre sens, avec 3 trains chaque jour, on essayait d'atteindre le maximum de "grands" trains Toulouse-Narbonne et qui s'arrêtaient à Castel (départ de Belpech à 5h15 le matin, arrivée à Castelnaudary à 7h45).
Les gares étaient nombreuses et, en plus des arrêts facultatifs (Sainte Hubert, Sainte Carmelle, Pas de Piquerel, Nazam-Peyrotte), on s'arrêtait souvent en plein milieu des champs. Les bâtiments des gares étaient tous identiques avec un abri voyageur (6,59 m sur 4,08 m) et un petit quai (6 x 9 m)

Quelques tragiques accidents
Le voyage était pittoresque et la vitesse pouvait même sembler effrayante pour les enfants. Le "tortillard" n'a pourtant pas toujours été le petit train bon enfant qui égayait "notre campagne riante et ensoleillée" (Armengaud). Des accidents, certains mortels, ont endeuillés les 30 années que dura la ligne. En juin 1917, on observe un déraillement dans la côte de Samson : excès de vitesse dit-on. Plusieurs accidents ont une cause commune : la frayeur animale. A l'arrivée bruyante du convoi, les voitures tirées par les chevaux s'emballaient. D'autres accidents étaient le fait de voyageurs sautant du train en marche et passant sous les roues. A Salles, bien des personnes revivent encore intensément, aujourd'hui, la mort tragique de "Ramonet", le chantre de l'église, écrasé le dimanche 11 avril 1926. On se souvient aussi, souvenir plus joyeux, de la jument racée du comte d'Aiguesvives faisant la course avec le 86, dans la ligne droite du Filhol. La jument, faut-il le dire, gagnait toujours largement.

Déraillement du 7 juin 1917 (Collection Gastion Tissinier)
Déraillement du 7 juin 1917 (Collection Gastion Tissinier)

Un voyageur raconte
Nous avons rencontré un voyageur, Claude Delmas, qui, enfant, vers le tout début des années 30, a pris ce train. Il était alors âgé de 4 ans et avec sa mère, il effectua le trajet Plaigne-Pech Luna. Il avait d'abord, comme il le raconte, une peur atroce de monter dans le wagon : la locomotive lui semblait un monstre de fer et de feu avec, ce qui le frappa le plus, un bruit infernal. La fumée noire qui s'échappait de la locomotive, en volutes énormes et malodorantes, mais aussi la vapeur qui fusait sur les côtés, rajoutait un peu plus à cette vision dantesque.
Ce fut malgré tout un voyage merveilleux : son premier voyage en chemin de fer, d'une durée de 30 minutes, à 15 km à l'heure. Claude se rappelle le nom du chef de gare de Pech Luna : Mr Sésostris ; il revoit toujours les sacs d'avoine venant de Labastide-Couloumat ...

La disparition du petit train
Mais le personnel était très mal payé. Des grèves améliorèrent un peu les salaires mais les difficultés financières d'exploitation furent permanentes et toutes les années furent déficitaires. Les marchandises transportées (blé, avoine, pailles et fourrages) étaient en trop faible quantité et les voyageurs trop peu nombreux. La gravité des problèmes conduisit finalement à la fermeture de la ligne en 1933.

Lorsque vous passez vers Pech Luna, Pécharic ou Plaigne, vous pouvez toujours observer les anciennes gares. Elles semblent encore vibrer du passage des convois lorsque, le lundi, les paysannes de Salles et leurs volailles, grimpaient dans les wagons avec leurs corbeilles remplies d'oeufs et de pigeons. Que de souvenirs attachants liés à ce "petit train" dans cette Piège si pittoresque. Il reste le symbole d'une civilisation paysanne aujourd'hui disparue, où l'on prenait plus de temps et où la technologie ne faisait pas encore partie de notre quotidien.



Bibliographie :
* Auguste Armengaud : " Le petit train de la Piège " - Congrès de Castelnaudary 1981 - Pages 309-320.
* Témoignage de Claude Delmas d'Ayguesvives.

 

Jean ODOL


Couleur Lauragais N°33 - juin 2001