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Couleur Lauragais : les journaux

Gens d'ici

La bergère de Vallesville

Couleur Lauragais a rencontré Paule Buc, fille de berger. Elle a elle-même exercé cette activité pendant quelques années depuis l'âge de 15 jusqu'à 22 ans. Elle nous raconte sa vie d'alors et ce qu'elle appris pendant ces années dont elle garde un merveilleux souvenir.


Paule Buc avait sept ans en 1929 quand son père vint se placer comme berger sur un des grands domaines existants alors sur le Lauragais. Il avait appris le métier sur le tas, et était progressivement devenu un excellent berger, capable de garder et de soigner un troupeau important de brebis. Il habitait auparavant l'Ariège et avait répondu à une annonce pour trouver ce nouveau travail dans une propriété de la commune de Vallesville sous la direction du propriétaire terrien.

Le troupeau dont le père de Paule s'occupait était constitué de 200 bêtes et nécessitait une attention et un soin constants. Elle-même s'en est occupé pendant quelques années dans sa jeunesse. Elle a alors appris à connaître ces bêtes attachantes et savait, à cette époque, décrypter chacune de leurs attitudes. Quand les bêtes formaient un cercle, explique-t-elle, c'est qu'un danger ou quelque chose d'inhabituel était en train de se passer. Elles pouvaient alors avoir repéré un lièvre égaré (on appelait cela avoir le "lièvre au gîte") ou un gros serpent. Leur attitude permettait aussi de prévoir le temps plus sûrement que les meilleurs baromètres actuels : leur nervosité était ainsi facilement décelable avant de gros orages ou à l'arrivée du vent d'autan. Paule a aussi appris à prendre soin de ses bêtes, à les soigner et à choisir le lieu de pâturage. Car les bêtes ne pouvaient pas être gardées n'importe où. Certaines plantes toxiques comme la ficaire ou de l'herbe trop tendre avalée rapidement, et les brebis pouvaient être sujettes au météorisme (gonflement de la panse par le gaz).

Le troupeau a été constitué de plusieurs espèces différentes au fil des années. La première était d'abord la Lauragaise : une brebis rustique et haute sur pattes qui était particulièrement bien adaptée aux pâturages de la région. Les oreilles pendantes, un dos pointu avec peu de chair, un manteau de laine pas très fourni (la laine était présente essentiellement sur le derrière et sur les côtés), d'un tempérament assez calme et bonne laitière.

Mais ces bêtes ne donnaient pas entière satisfaction au patron du père de Paule. Celui-ci décide alors de changer de race et achète un troupeau de brebis du Cotentin. Cette espèce, habituée aux grands espaces et à l'herbe haute de sa contrée d'origine, ne s'acclimate pas au Lauragais. Certaines attrapent le piétin, une maladie du pied avec pourriture de l'ongle, d'autres la douve. Au bout de quelques années d'essais infructueux, le propriétaire essaie alors une nouvelle race plus solide, mélange entre des lauragaises et des charmoises, une race qui saura s'adapter correctement.

Les brebis étaient utilisées essentiellement pour l'élevage et la vente des agneaux. On les vendait vers l'âge de deux ou trois mois quand ils avaient atteint les 25 kg,. C'était bien sûr de véritables agneaux de lait. Ils étaient vendus à des maquignons notamment sur le marché de Caraman et sur tous les autres marchés du Lauragais. On ne gardait, chaque année, que quelques bêtes pour renouveler régulièrement le cheptel.
Mais les agneaux n'étaient pas la seule source de revenus. Vers la fin mai ou le début juin, on procédait à la tonte en faisant appel à trois ou quatre ouvriers sur une journée et demi. Le père attrapait les bêtes et liait leurs pattes. Elles étaient alors placées sur des tables et la tonte était réalisée en 15 mn environ par bête, avec une tondeuse à main. Paule était chargée de réaliser des "dos" (patois), des petits carrés de laine repliés que l'on attachait avec une ficelle. La laine était récupérée par le propriétaire. Une fois lavée, elle partait pour les filatures les plus proches. Pendant la guerre, elle constituait une matière précieuse pour tricoter des pulls épais et chauds, excellente protection contre le froid.

Le berger de l'époque recevait un salaire et bénéficiait également d'avantages en nature : en premier lieu le logement (une petite maison attenante aux paturages), mais aussi des parcelles de terre pour un jardin et des bêtes, oies, dindons, poules, lapins) qui amélioraient le quotidien.

La journée type du berger s'organisait différemment en fonction des saisons.
En hiver, la brebis ne devait pas manger trop tôt le matin. On les gardait donc une partie de la matinée dans l'étable avec une fourchée de foin. Vers 11h, on sortait les brebis alors que les agneaux restaient à l'intérieur avec de la farine de maïs. L'ensemble du troupeau était rentré vers 4 h de l'après-midi.
En été, on sortait les bêtes plus tôt, vers 8 h du matin (heure du soleil). Elles étaient laissées dehors à l'ombre de grands arbres. Vers 16 h30, on sortait le chien pour les changer de pâturage et le soir on les rentrait vers 8 ou 9 h car elles ne couchaient jamais dehors.
Le chien était bien sûr un compagnon indispensable pour garder les bêtes. Les corniauds, déclare Paule, étaient souvent les plus intelligents. Le patron les achetait déjà dressés et les donnait au berger. Il fallait aussi un bâton très solide taillé dans du bois de pommier sauvage, se souvient Paule. Ce bâton était carré avec une courroie en cuir qui permettait de le tenir solidement attaché au poignet. Il servait notamment à se protéger des béliers qui veillaient sur le troupeau et pouvaient souvent se révéler agressifs.
Une fois par an, on devait procéder au curage de la bergerie : un travail considérable !

Imaginez 200 brebis qui piétinent et tassent, à longueur d'année 80 cm à un mètre de fumier. Des bras solides, un bonne pioche et plusieurs journées de travail étaient nécessaires. Mais on obtenait ainsi le meilleur des engrais !

Paule a abandonné le métier vers 22 ans et a ensuite aidé son mari agriculteur sur Vallesville. Aujourd'hui, il n'existe quasiment plus de bergers dans le Lauragais. Les clôtures électriques ont rendu inutiles ces services. On n'en trouve plus désormais que dans les pâturages de montagne. Mais Paule garde encore des souvenirs très vivaces des troupeaux de brebis du Lauragais.

Interview : Pascal RASSAT
Crédit photos : Paule Buc

 

 

Couleur Lauragais N°22 - Mai 2000