accueil
Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Le pastel d'hier... d'aujourd'hui... de demain ?

Dans notre numéro 2, du mois de mai 1998, notre ami historien Jean Odol a successivement raconté la fabuleuse histoire du pastel en Lauragais aux XVème et XVIème siècles.

Les coques de pastel de notre pays de cocagne, appelé également "triangle d'or" (se situant entre Toulouse, Albi et Carcassonne) ont apporté, à cette époque là, une certaine opulence chez les "marchands pasteliers" ou négociants en pastel. Ceux-ci exportaient le bleu du Lauragais dans toute l'Europe. Ils nous ont légué les splendides hôtels renaissance dans les villes de Toulouse et Albi, et des édifices de moindre importance, tels que des châteaux avec leurs beaux pigeonniers et de nombreuses églises.
Cette plante tinctoriale, de la famille des crucifères (isatis-tinctoria) est à nouveau cultivée dans notre midi toulousain ; sa belle et odorante fleur jaune apparaît sur nos collines ensoleillées au mois de mai.
C'est ce renouveau du pastel que nous allons aborder dans ce numéro.
Il y a une dizaine d'années, une coopérative agricole lauragaise (devenue aujourd'hui le Groupe Coopératif Occitan à Castelnaudary) remettait en culture expérimentale quelques hectares de cette fameuse plante. Elle a pour cela collaboré avec l'École Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse et son laboratoire des agro-ressources, afin de récolter les graines, car c'est de là que commence une nouvelle histoire aujourd'hui.
Dans les laboratoires de cette grande école toulousaine, des recherches très poussées sur la graine de pastel ont permis de constater qu'elle renferme 30% d'huile. Celle-ci est composée d'acides gras essentiels polyinsaturés, aux propriétés revitalisantes, diurétiques et même antibiotiques. Quelques années après, ses recherches débouchent sur l'opportunité de fabrication de cosmétiques. Paral-lèlement, il poursuit les recherches sur le plan phytothérapeutique. Un marché est conclu avec la société Bourgeois qui, rapidement, commercialise trois produits cosmétiques contenant de l'extrait de pastel. Deux d'entre eux sont des fonds de teint, vendus sous les appelations : "Teint secret" et "Teint mat". Le troisième est un rouge à lèvres : "Rouge Bijou".
D'autres débouchés sont prévus dans l'industrie et peuvent trouver des applications dans l'agro-alimentaire mais aussi dans l'électronique, pour des supports magnétiques et vidéo. L'adjonction d'huile de pastel permettrait d'accroître la longévité des pellicules et bandes magnétiques.
Ces années 1995/96 vont encore marquer un tournant dans la mythique culture du pastel. Alors qu'une cinquantaine d'hectares sont remis en culture dans le Lauragais pour la graine, nous venons de le voir, un couple de chercheurs bruxellois, Denise et Henri Lambert, viennent d'installer dans une ancienne tannerie du XVIème siècle, à Lectoure dans le Gers. Et là, Henri est intrigué par la couleur bleue des volets. Il s'interroge. En quelques années de recherche, il relance à titre expérimental deux hectares de culture de pastel et découvre de nouveaux procédés de fabrication de teintures, mais aussi et surtout de peintures. Ceci, toujours en collaboration avec l'École Nationale de Chimie de Toulouse.
En extrayant le pigment pur des feuilles de la rosette (plante) de pastel par un procédé moins complexe et surtout beaucoup plus rapide (24 heures) que par le passé, Henri Lambert produit une gamme de bleus, dont lui seul a le secret.
Il crée une société "Bleu de Lectoure" et se lance dans un premier temps dans la fabrication à titre artisanal de plusieurs produits chers aux artistes peintres : teintures, encres, peintures, crayons à dessin (fabriqués à partir de la "fleurée de pastel" qui est un concentré d'écume asséchée, mélangé à de la gomme-craie). Il commercialise ses teintures vers la haute couture parisienne. Les robes bleu pastel défileront au travers de tissus innovants chez les grands créateurs de mode. L'année dernière, une grande quantité de pastel est cultivée en Lauragais et avec la complicité d'une cave coopérative du Limousin (pour la macération des feuilles en grande cuve) préfigurent d'une pré-industrialisation de la teinture et surtout de la peinture de pastel. Cette dernière qui résiste à de très hautes températures, pourrait trouver des débouchés dans l'aéronautique et l'astronautique, nous affirme Henri Lambert.
Nos alchimistes gersois d'adoption doivent être félicités et remerciés d'avoir sû redonner un formidable renouveau à l'"Isatis-tinctoria" (nom savant), plante aux feuilles vertes, aux fleurs jaunes à la légère odeur de miel qui produit les couleurs bleues annonçant le pastel de demain.
Avec le musée du pastel au château de Magrin (près de St Paul Cap de Joux - Tarn), nous avons le passé ; avec les graines de l'herbe du Lauragais pour les produits de beauté, nous avons les extraits d'huile de pastel d'aujourd'hui et avec le "Bleu de Lectoure", nous avons le pastel de demain, celui du futur...

Jacques BATIGNE

 

Couleur Lauragais N°21 - Avril 2000