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Le Tonnelier de Vendine


Jacques BOUDES, aujourd'hui à la retraite, a exercé durant plus de trente ans le métier de tonnelier sur la commune de Vendine. À la veille des premières vendanges, il raconte à Couleur Lauragais son ancien métier.


L'histoire du tonnelier de Vendine commence, une fois de plus, comme une saga familiale. Au début du XIXème siècle, l'arrière grand-père de Jacques Boudes voit arriver son service militaire. Et le service de l'époque n'était pas une mince affaire : sept années passées loin de chez soi pour les malchanceux désignés par un tirage au sort. Sept années auxquelles seuls les plus riches pouvaient échapper en payant un remplaçant pour accomplir cette très longue formalité.

L'arrière grand-père Boudes choisit ainsi de partir à la place d'un de ses camarades. Durant ces sept années, sa famille ne reçoit aucune nouvelle et le croit mort. Il revient cependant au foyer. A son retour, sa barbe a poussé et ses traits ont changé, tant et si bien que sa famille ne peut le reconnaître que grâce à une cicatrice datant de son enfance. Il ne revient cependant pas les mains vides : il a en effet réussi à amasser un petit pécule durant ces longues années, et dès 1848 il peut ainsi s'installer en achetant terre et maison. Il trouve également un emploi dans les vignes de la propriété toute proche, celle du château de M. de Chevery à Prunet. Son rôle est alors limité à l'entretien de la vigne, mais c'est là qu'il va croiser les premiers tonneliers. Toutes les saisons, en effet, ces derniers passaient dans la propriété, leurs outils sur le dos, pour remettre en état les tonneaux de la cave. A partir de 1865 et durant près de dix ans, la phyloxera détruit les vignes et le grand-père en profite pour se former au métier. Chaque famille possède à cette époque son coin de vigne et fait son propre vin, et il peut ainsi vivre de cette nouvelle activité. Il la transmet ensuite de génération en génération comme souvent à l'époque, d'abord à son fils puis à son petit fils (le père de Jacques) au début du siècle.

Ce dernier part à son tour pour la grande guerre en 1914. Puis, en 1918, il s'installe à Rouen. Pendant un an, il construit d'immenses tonneaux pour les fabriques de bière anglaises. Il revient à Vendine en 1920 et y loue une maison et un atelier. Il exerce alors une double activité, à la fois tonnelier et charpentier. L'activité de tonnelier est en effet très saisonnière : on travaille de mars à mai pour préparer les tonneaux et d'août à novembre pour les réparer et les remettre en état. Le reste de l'année, l'activité de charpentier permet de compléter les ressources de la famille.

Jacques Boudes démarre lui même son activité en 1956 à la suite de son père. A l'époque, il a pour clients les petites propriétés du Lauragais qui ont encore une vigne ou les coopératives qui revendent les tonneaux aux exploitations.
Rapidement, Jacques se fait une réputation sur tout le Lauragais et ses clients viennent même de plus loin dans l'Aude pour faire appel à ses services.

Le tour de main de trente ans d'activité, Jacques ne l'a bien sûr pas perdu. Il décrit avec passion et précision l'art et la manière de construire un tonneau.
La réalisation d'un tonneau, explique-t-il, débute par le choix du bois le plus adapté, capital pour conserver le vin. Trois types de bois sont le plus souvent utilisés : le châtaignier, l'acacia et bien sûr le chêne. Ces essences dégagent en effet un tannin (dépôt de sève) particulier qui va, au fil des ans, bonifier le vin. L'acacia donne un goût un peu fort au vin dans les premières années et Jacques ne l'utilisait pas très souvent. Il préférait le châtaignier ou le chêne qu'il faisait venir de Bourgogne.
Le tonnelier commence ensuite à préparer la matière première. Il coupe ainsi des billes de 2m10 en évitant soigneusement les nuds du bois et taille ensuite ces billes avec une scie à rubans. On obtient des douelles, planches de longueurs différentes qui vont constituer le corps de la barrique. Elles sont mises à sécher pendant deux ans environ avant de pouvoir enfin les travailler. Il s'agit d'abord de leur donner la forme qui permettra de les assembler : une forme conique avec une épaisseur biseautée. La "doleuse" et la "jointeuse" servent à cette opération, deux machines que Jacques s'est construit lui-même.

L'étape suivante est sans doute la plus délicate. On encercle les premières douelles avec un cercle de fer et on place un brasero à l'intérieur de la forme ainsi constituée. Le bois est alors régulièrement mouillé avec un "étouffoir" (en fait un chiffon mouillé au bout d'un long bout de bois) pour ne pas prendre feu. La chaleur, explique Jacques, rend le bois très souple et permet ensuite de le travailler plus facilement. La dernière opération consiste à placer les cercles de fer qui vont maintenir la structure, opération pour laquelle on utilise une machine appeler "tour à serrer".

Les tonneaux fabriqués par Jacques sont de six contenances différentes : 20 litres, 30 litres, 50 litres, 60 litres, 115 litres (également appelés "sixains") et 225 litres (appelés "Borde-laises"). On peut aussi construire des tonneaux bien plus gros : les grandes cuves de vendange font souvent de 30 à 40 hectolitres et peuvent aller jusqu'à 350 hectolitres (35 000 litres).

Lorsqu'il était en activité, Jacques Boudes réalisait une moyenne de 5 tonneaux par jour avec, il est vrai, des journées qui pouvaient durer, à cette époque, de 10 à 12 heures.
Son activité ne se limitait pas à la construction. Il réparait également les tonneaux que lui amenaient les vignerons locaux pour réparer une douelle, rendre son étanchéité à un fond ou réparer un cercle.
A cette époque, explique-t-il, il y avait environ une dizaine de tonneliers sur le Lauragais et le travail ne manquait pas. Pour permettre un vieillissement et une conservation optimum du vin, un tonneau ne peut en effet servir que deux fois. Les exploitations devaient donc régulièrement changer leur futaille.

Aujourd'hui le Lauragais ne compte plus de tonnelier en activité et il devient très difficile de faire construire une barrique sur place. L'activité artisanale ne subsiste encore que dans les grandes régions vinicoles. Jacques garde en mémoire tous les détails de son ancienne activité et on devine, dans sa voix, toute la passion qu'il a eu à l'exercer durant toutes ces années.

Interview : Pascal RASSAT
Crédit photos : collection J. Boudes


Couleur Lauragais N°15 - Septembre 1999