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Couleur Lauragais : les journaux

JanadaReportage


"La Janada" : La Saint Jean

De tous les Saints, St-Jean est bien celui dont la commémoration s'accompagne des rites et des croyances les plus anciens. C'est le culte du Soleil, religion première des hommes ; une grande fête solaire (certains parlent encore du solstice d'été). Sa personnification en est le "Feu", vif, chaud, enivrant, cherchant toujours à monter vers les hauteurs, image du rayonnement et de la force. Ses représentations sous forme d'idoles, en furent souvent des emblèmes virils. Contre eux, on se frottait pour guérir de la stérilité. N'oublions pas que le soleil, notre Soleil est le fécondateur du monde..



Plusieurs semaines avant la fête, on a planté dans le quartier ou le village, un long et volumineux tronc de sapin, bourré de coins de bois, qui l'ont fait éclater en lui donnant un air pansu : c'est le brandon de la St-Jean. Chaque famille a apporté sa contribution selon ses moyens : un fagot de genêts ou des branches, une charrette de fins liteaux artistiquement rangés en oblique, qui garnissent le pied du sapin et faciliteront sa mise à feu. Au sommet se dresse une croix de bois ornée d'un bouquet de lis blancs.

Enfin, le fameux jour de la St-Jean arrive. Le matin, on se lave les yeux avec la rosée de la nuit, pour avoir une bonne vue toute l'année. Guidés par les anciens, les femmes et surtout les enfants s'en vont dans les bois et les prés, cueillir avant le lever du soleil, les "Simples", qui sont les herbes de la St-Jean et qui depuis des siècles passent pour magiques... Elles ne sont pas nombreuses, quatre en tout, "le Mille Perthuis" qui fait fuir les sorcières, "le Bouillon Blanc" qui protège de l'orage, "la Bourrache" qui guérit des fièvres, "la Joubarbe" qui préserve du feu et des épidémies, car, que vous le vouliez ou non (vous esprits forts), c'est entre le 21 et le 24 juin que le soleil se lève et se couche aux mêmes heures et connaît « un instant majeur » comme disent les savants. Nos vieux, les sages du village, n'étaient point savants, mais ils savaient d'expérience ancestrale que cette nuit de la St-Jean, il se passait quelque chose qui donnait aux plantes leurs vertus maximales, et que par conséquent, c'était le moment de les ramasser. Aujourd'hui la médecine en vient à reconnaître ses vertus.

De retour à la maison, on installe les herbes dans des draps blancs, lavés à l'eau de pluie et étendus sur les prés au grand soleil, puis on les met plusieurs jours à sécher à l'ombre. Traditionnellement, on prélève un bouquet de joubarbe que l'on accroche à la porte de la maison.

Dans le pré, tout est prêt. On n'attend plus que la nuit, longue à venir, et quand l'obscurité est complète, Mr le curé bénit l'édifice et Mr le Maire embrase le brandon d'où jaillit, pareille à une corne, une langue de flamme. Tout autour, l'assistance nombreuse, s'écarte, subissant la fascination du "Feu sacré".

Le Feu est maître et dominateur ; l'homme retrouve, qui sommeillent en lui, les vestiges démoniaques de la destruction et du néant. Alors, faute de pouvoir les interdire, l'Eglise toléra les feux de la St-Jean, elle procéda à leur bénédiction et les récupéra, en rattachant leur coutume à la cérémonie anniversaire de la naissance de St-Jean : « Frères réjouissez-vous, tu l'appelleras Jean et il sera ta joie. Allumez des feux, mais allumez des feux de joie! »

Maintenant, les flammes sont hautes, tout autour s'éclaire, le ciel s'embrase. La torche gigantesque pétille lumineuse, attisant sur les visages des villageois des reflets éclatants.

Quant les flammes sont tombées, les plus audacieux sautent par dessus les braises. Leur performance accomplie, ils vont chercher les jeunes filles qui se débattent, crient, font mine de fuir, mais ne demandent qu'à se laisser attraper, pour s'élancer à leur tour. On assure que le rite "du saut" a valeur de purification : il préserve des maladies et surtout aide à la fécondation. Il permet de se marier dans l'année et d'avoir des enfants.
Les villageois se prennent alors par la main et font une immense ronde endiablée autour du feu, tandis que les musiciens et la chorale entonnent joyeusement : "Que les récoltes soient abondantes et que la vertu des plantes que la nature nous offre nous guérisse et rende nos coeurs heureux à jamais"!

On pense que le feu de la St-Jean ne brûle pas : c'est pourquoi on peut franchir le bûcher ou saisir les tisons, qui d'ailleurs ont un autre pouvoir : à demi-consumés, ils portent bonheur dit-on, protègent de la foudre, des sinistres. L'usage veut que, dans chaque maison, il y ait enfermé dans l'armoire avec les papiers de famille, un morceau de brandon, jusqu'à la St-Jean prochaine ; parfois, en cas d'orage, on le rallume.... et dans la montagne, quand les cendres ne dégagent plus que de la fumée, quand elles flottent dans l'air pour retomber plus loin en neige grise, alors les bergers passent dans la poudre tassée, la pointe de leurs bâtons ; ainsi traités, ils éloigneront les vipères et protègeront le troupeau.

Edoard FRANC


Couleur Lauragais N°13 - Juin
1999