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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

" Histoire et vie quotidienne des pigeons "

Dans ce numéro de Couleur Lauragais, Louis-Charles de Roquette Buisson nous parle des pigeons, colombidés emblématiques du Lauragais. Nous consacrerons d'ailleurs un prochain numéro aux pigeonniers, constructions fort nombreuses dans notre région.

Le pigeon du Lauragais
Tout commence avec le Biset de roche, ce pigeon que tout le monde connaît. Farouche à l'extrême à l'état sauvage, le même est quasiment domestique dans nos villes. Seul, il est à l'origine de toutes nos races de pigeons. Il fallait qu'il soit dans l'arche de Noé .... L'origine de la couleur de ses pattes est le rouge de la terre du mont ARRARA où le pigeon a piété, ramenant, avec le rameau d'olivier une autre preuve de la décrue.

Les pigeons vont avec l'homme, aiment l'habitation humaine, depuis que les hommes ont semé puis récolté les grains dont les pigeons se nourrissent. Enfin et surtout, le pigeonnier a scellé cette alliance..... Le Lauragais est une de leur grande terre d'asile et a même donné son nom à une race : le Pigeon du Lauragais, grand ambassadeur de notre pays, car figurant en première place sur les cartes des menus de nos grands étoilés.

Pigeonnier de St Anatoly Type lauragais
Il faut revenir au premier couple et au premier oeuf. A l'intérieur du pigeonnier des cases ont été préparées. Deux serviront d'appartement à chaque couple: une chambre pour les parents, et une pour les enfants qui casseraient les nouveaux oeufs. Le mobilier est simple, un nid, une mangeoire à grains, un abreuvoir. Au bout de quelque temps les pigeons, comme disent les professionnels, se déclarent. En effet, le comportement de chacun va révéler son sexe. Les mâles roucoulent, s'empressent, tournent autour des pigeons moins turbulents, qui sont évidement les femelles. Grand remue-ménage, sonores battements d'ailes.... autoritaire et jaloux, prévoyant aussi, le pigeon contraint par la force sa pigeonne à rester au logis. Il devient plus aimable lorsque apparaît le premier oeuf. Un autre suit, le surlendemain, dans le milieu de l'après-midi. A ce moment la femelle montre de l'intérêt pour sa progéniture. Elle commence à couver sérieusement. Très sérieusement même : elle reste au nid jusqu'à vingt heures par jour. Le mâle ne la remplace que quelques heures, au milieu de la journée. Elle en profite pour se nourrir, se désaltérer et, on l'imagine, pour se dégourdir les pattes. Le développement du petit dans l'oeuf prend dix huit jours. Les oisillons brisent leur coquille à quelques heures d'intervalle. Recouverts de duvet jaune, quelle que soit la couleur des parents, ils ressemblent à des caricatures d'oiseaux et sont pitoyables de faiblesse.

Quelques jours avant l'éclosion, il se forme dans le jabot des deux parents, aussi bien mâle que femelle, une bouillie liquide composée de ce qu'eux-mêmes ont consommé. Prête dès le dix-septième jour d'incubation, elle est régurgitée par les parents dans le bec des petits au lendemain de leur naissance. A ce premier tour de force de la nature, vient s'en ajouter un second. De jour en jour, ce liquide s'épaissit accompagnant ainsi les jeunes sur le chemin normal de l'alimentation des adultes. Vers vingt huit jours, notre pigeonneau est prêt pour l'envol. Moment grave, moment du choix pour l'éleveur de s'en saisir pour le conduire dans la casserole du cuisinier, ou de le laisser à son tour devenir adulte.

A ce stade, s'il est vaillant, il pourra être voyageur. Militaire : encore en service de nos jours, il est furtif et déjoue parfaitement les radars. Humanitaire : notre ami du camping du Bout du Monde équipe ses randonneurs à cheval d'un pigeon chargé de porter le moindre message de demande de secours. Sportif : dans le nord de notre pays, des concours leur proposent des parcours de plusieurs centaines de kilomètres qu'ils avaleront d'une seule traite. Emblématique : la colombe est le symbole du parfait cathare.

Les pigeons n'ont pas que des vertus. Je leur connais quelques défauts. Ils sont querelleurs, jaloux, autoritaires ; de piètre architectes, de grands gaspilleurs : leur plaisir est de faire sauter des graines partout quand ils mangent. Enfin, leur conception du respect des statues n'est pas la nôtre.....

Pigeonnier du château de Couffinal Type tarnais hexagonal
Contre sa mauvaise réputation, le pigeon, (se faire pigeonner, être pris pour un pigeon), a trouvé un allié de taille : le Chef étoilé.
La possession d'un pigeonnier était sous l'ancien régime un privilège royal. La consommation de ce colombidé était réservée à la seule aristocratie. Les cuisiniers, employés de ces nobles maisons, sublimaient alors dans leurs casseroles ces goûteux volatiles. Lorsque vint la révolution, leurs employeurs étant en exil, leur reconversion fut très rapide. Paris vit s'ouvrir en cette période une multitude de divins restaurants dirigés par ces chefs en récent chômage technique.
La nouvelle aristocratie, DANTON et ROBESPIERRE en tête, se délecte de cette cuisine originale, et pour être approvisionnée en pigeons, libéralise la possession des pigeonniers. Hélas, la révolution a touché la campagne et désorganise le bon ordre des pigeonniers. Le manque de règlementation va provoquer un certain désordre dans la gestion des pigeonniers, confiés à des amateurs. Ces derniers n'avaient pas ce talent de sélectionneur de race que possedaient les privilégiés sous l'ancien régime.
Il faudra attendre plus d'un siècle et demi pour que cet élevage renaisse. Sous l'impulsion des grands chefs, le pigeon revient en cette fin de siècle sur nos tables.
Il est élevé aujourd'hui en semi-liberté ; le grain naturel que ce volatile allait autrefois chercher dans les semis, est mis à l'intérieur de la volière à la disposition de ce gourmet.

Mets royal, chef étoilé, le pigeon est élitiste...pour notre plus grand bonheur !!!


Louis-Charles de ROQUETTE BUISSON


Couleur Lauragais N°12 - Mai
1999