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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

" Les Clochers du Lauragais "

La richesse du Lauragais en édifices religieux s'explique par l'importance globale de la population qui atteint au XIIIème siècle une densité exceptionnelle : 100 habitants au km2. On ne retrouvera de tels chiffres qu'au XIXème siècle, vers les années 1840-1850 (avant la construction des chemins de fer). Dans ce numéro, Couleur Lauragais vous fait découvrir ces édifices d'une grande diversité et leurs magnifiques clochers.

Clocher mur pignon triangulaire 5 baies campanaires - Deyme

A cette époque, la population du Lauragais se disperse dans une foule de petits villages (castra), de hameaux (masatges) et de fermes isolées et fortifiées (forces). Le livre du prévôt fait le recensement des paroisses aux XIIIème et XIVème siècles, qui doivent des redevances au prévôt de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse et encore est-il incomplet : 273 paroisses sont ainsi localisées dans l'archidiaconé du Lauragais. On peut donc avancer l'hypothèse de plusieurs centaines d'édifices religieux, des abbayes (Saint Papoul, Villelongue, Boulbonne, Eaunes, Calers), des églises de paroisse, des succursales, des chapelles diverses. Beaucoup ont disparu car le Lauragais a été pillé et incendié durant des siècles.

Les épisodes les plus tragiques sont nombreux : la Croisade contre les Albigeois (1209-1229) qui a certainement contribué à la destruction de beaucoup d'édifices romans ; la chevauchée du Prince Noir (1355) qui a fait flamber 500 villages entre Toulouse et Narbonne ; les guerres de religions (1520-1630) entre catholiques et protestants qui ont multiplié les destructions ; enfin, la Révolution (1789-1799) qui a entraîné la démolition de nombreuses petites chapelles rurales. Le vandalisme ou le non entretien ont aussi abouti à de nombreuses disparitions, et parfois, très récemment comme la chapelle romane de Notre Dame de Noumérens. Malgré cela, il demeure encore de nombreux édifices lauragais, en majorité gothiques, très intéressants sur le plan architectural.

Les édifices romans du Lauragais

Les édifices romans sont construits entre l'an 1000 et 1200. Leur ancienneté explique leur rareté, surtout dans le Lauragais occidental. Ici, la pierre manque pour les constructions. Conçus avec de la terre, du bois et quelques briques, les monuments romans ont mal résisté aux attaques des hommes et des siècles. Cependant, quelques belles exceptions subsistent comme le portail de Belberaud ou les églises de Saint Orens et d'Espans. Les églises de Baraigne, Cazalrenoux, Notre Dame de Noumérens, Saint Orens, Espanès sont en totalité romanes. Les principales chapelles sont celles de Cazazils (commune de Lafage, département de l'Aude), Espinoux (Plavila), Saint Cristol (Fonters du Razès), la chapelle du cimetière de Saint Félix, Saint Martin de Cabuer (Auriac), Saint Pierre d'Alzonne (Montferrand), la Madeleine (hors du Lauragais, à Pezens).

Des ornements architecturaux peuvent y être admirés et notamment :

Clocher roman Notre Dame de Noumérens
Auriac sur Vendinelle
- des chrismes (1) romans à Saint Papoul, Notre Dame de Noumérens et à Belpech ;
- des absides (2) romanes à Baraigne, Saint Pierre d'Alzonne, Saint Pierre de Venerque et Saint Christol (avec des arcatures lombardes) ;
- des portails romans à Belberaud (influence de la porte des Comtes de Saint Sernin de Toulouse), Payra sur l'Hers, Baraigne, Cintegabelle, et surtout le plus complet , Belpech ;
- des chapiteaux romans à Venerque et Saint Papoul. Ceux du Maître de Cabestany sont célèbres et ont déjà été évoqués dans ces colonnes (Daniel dans la fosse aux lions et le châtiment des Babyloniens) ;
- des modillons (3) à Saint Papoul, Saint Félix et Payra ;
- des têtes humaines exceptionnelles à Saint Papoul, Payra et Belpech ;
- le bestiaire roman à Payra (un lapin), des lions à Venerque, Saint Papoul et Belpech, un boeuf à Saint Félix et un bélier à Saint Papoul.


Murs pignons et clochers peigne

Les clochers romans du Lauragais sont peu nombreux mais souvent très beaux et paradoxalement bien conservés. Très typés, ils sont de petites dimensions comme les nefs qui les accompagnent. Ils sont tous bâtis en pierre sauf deux qui utilisent la brique : Espanès et Saint Orens. Massifs, trapus, aux murs très épais, la simplicité de leurs lignes, leur silhouette néanmoins élégante leur confèrent une exceptionnelle pureté. Les clochers se divisent en deux types selon leurs formes :

- le clocher de type mur pignon (triangulaire) avec une , trois ou cinq baies campanaires (4), par exemple ceux de Saint Cristol (en pierre, une baie unique), Notre Dame de Noumrens (trois baies), Saint Orens (en briques), Espanès (en briques), Montferrand (le clocher de l'ancienne église paroissiale sur la colline), Cazalrenoux (en pierre, église fortifiée).

- le clocher de type peigne avec des murs se terminant par une ligne horizontale et des créneaux. Plusieurs clochers en Lauragais se rattachent à cette silhouette : Plaigne et celui de la chapelle des Cazazils (commune de Lafage).


Les églises gothiques du Lauragais

Les églises gothiques sont nettement plus nombreuses et la plupart correspondent à une période assez facile à déterminer. Au XIVème siècle, on construit peu : c'est la période des famines et du retour de la peste (la peste noire de 1348 fait disparaître un tiers de la population), de la guerre de Cent Ans et de ses pillages incessants. Deux exceptions cependant, et de taille, l'église de Fanjeaux qui est datée des années 1280, et celle de Villefranche. Après 1450, les guerres s'éloignent et la prospérité économique éclate avec le pastel, source de richesse inouïe pour quelques uns, notamment pour l'Église. Jusqu'en 1560, pendant un siècle, le gothique s'épanouit, avec des dizaines de monuments.

Clocher tour octogonal
Avignonet-Lauragais
Les églises gothiques ont toutes des traits architecturaux communs : il s'agit de monuments appartenant au gothique méridional, c'est à dire comprenant une nef unique, de grande largeur par rapport à la longueur, des chapelles latérales entre les contreforts. Les voûtes reposent toujours sur des croisées d'ogives, arcs doubleaux, formerets, liernes et tiercerons (5). Parmi les plus grandes, citons Fanjeaux, Saint Michel de Castelnaudary, Caraman, Avignonet, Nailloux, Cintegabelle, Villefranche, Montgiscard et Montgeard.



Trois principaux types de clochers :

Parmi les clochers, on peut distinguer trois grandes catégories représentées dans le Lauragais :

a) Gothique de type I : le clocher mur pignon (triangulaire) avec également trois à cinq baies campanaires, parfois plus, comme Baziège et son remarquable carillon. Dans ce premier groupe, on peut trouver les clochers de Baziège, Nailloux, Ayguesvives et Montgeard. C'est le type le plus répandu correspondant à des communautés rurales de faible importance numérique. C'est aussi le moyen le plus économique car il suffit de renforcer et de hausser un mur pour y glisser les baies campanaires.

b) Gothique de type II : le clocher mur entre deux tourelles comme à Villefranche, Villenouvelle, Montgiscard, Montesquieu ou Molandier. Ici, pas de pignon, mais curieusement, les cinq exemples que nous citons correspondent à des bastides royales fondées pour asseoir le pouvoir du souverain sur le Lauragais. On peut ainsi introduire l'hypothèse d'un rapport possible entre bastide, pouvoir royal et clocher.

c) Gothique de type III : le clocher tour octogonale, s'inspirant de celui de Saint Sernin de Toulouse. Les exemples en sont notamment Avignonet (église et clocher énormes, avec un souci de prestige évident correspondant au désir de l'Église de montrer sa puissance dans un pays qui fut cathare), Saint Félix ( érigée en collégiale en 13I7 par le pape d'Avignon Jean XXII, dont le frère était comte de Caraman), Fanjeaux (même souci de puissance comme à Avignonet), Saint Michel de Castelnaudary, sans doute la plus grande par ses dimensions et écrasant ainsi tout le Lauragais oriental ou encore Caraman.
Ce type de clocher est celui des grosses bourgades ou des villes disposant donc de moyens financiers plus importants ; il traduit aussi le prestige de la basilique Saint Sernin de Toulouse qui rayonne dans tout le Lauragais, de la même façon que de nombreuses églises sont dédiées au premier évêque de Toulouse (Sernin) ou à Saint Papoul.

De briques ou de pierre, les clochers du Lauragais illuminent le ciel de nos molles collines. Les plus grands sont toujours sur des sites stratégiques, des points toujours les plus élevés, en position dominante : de Fanjeaux à Nailloux, de Caraman à Cintegabelle, ils sont des repères géographiques, historiques et spirituels irremplaçables.


Jean ODOL


(1) Un chrisme : monogramme du Christ fait des lettres grecques X (ki) et P (ro), premières lettres du mot christos.
(2) L'abside : dans une église, c'est la terminaison arrondie de la nef principale contenant le choeur et le sanctuaire.
(3) Un modillon est une grosse pierre en relief qui soutient la corniche sous le toit. Les sculpteurs romans s'en servent pour représenter des têtes grimaçantes, des animaux, des monstres énormes comme à Saint Papoul.
(4) Une baie campanaire est une cavité dans le clocher dans laquelle est suspendue la cloche ; cloche se dit « campana » en occitan.
(5) Liernes et tiercerons sont des arcs secondaires divisant la croisée d'ogives.

Couleur Lauragais N°11 - Avril 1999