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"La tradition du Pèle-porc en Lauragais "

Urbain Manric, aujourd'hui à la retraite, a fait toute sa carrière dans l'Éducation Nationale. Mais il était aussi connu sur Ayguevives et sa région pour être le saigneur de cochons, celui qui tuait et préparait la viande qui servait à confectionner jambons, saucissons et autres boudins. Couleur Lauragais a rencontré Urbain pour qu'il nous explique le déroulement de cette fête traditionnelle, sans doute encore très ancrée dans la mémoire de beaucoup de nos lecteurs.

Urbain Manic

Dans les années 50, explique Urbain Manric, tuer le cochon représentait l'un des moments importants qui rythmait l'année, au même titre que les vendanges ou que les moissons.
A cette époque, la plupart des familles tuait le cochon. On achetait un porcelet à l'âge de trois mois et on l'élevait ensuite pendant plusieurs semaines en le nourrissant de maïs, de patates cuites et des restes de toute la maison. Entre décembre et février, saison propice pour travailler la viande, on choisissait une date. Le cochon avait alors autour d'un an. On réunissait une quinzaine de personnes, parfois plus, amis et voisins, pour travailler et faire la fête durant les trois jours que durait cet événement.
Urbain a commencé à saigner les cochons à l'âge de 16 ans. C'était alors une véritable cérémonie où chacun avait une place bien spécifique. Ils nous en raconte les étapes successives.

L'animal était d'abord muselé avec un « moarial », sorte de tresse très solide qu'on lui passait dans la gueule, et qui permettait de tenir sa tête pendant l'opération. Ensuite, le cochon était couché sur la maï, une sorte de grand bac en bois, pour le saigner. Cinq à six personnes n'étaient pas de trop pour immobiliser l'animal.

Une fois saigné, le premier travail consistait à récupérer son sang dans un récipient. En remuant avec la main, toutes les impuretés s'agglutinaient et constituaient une véritable éponge que l'on pouvait retirer. Le sang était ensuite filtré dans une passoire et mis de côté. Un peu plus tard dans la journée, il servirait à préparer le boudin.

Le cochon était alors ébouillanté, dans de l'eau à 85-90° dans la maï, afin d'enlever le plus gros des poils et l'on terminait l'opération avec un racloir (" rasclet " en patois, outil constitué d'une vieille lame de faux). Les sabots étaient soigneusement curés et la bête pendue la tête en bas pour terminer de la laver. L'étape suivante consistait à ouvrir la bête et à enlever boyaux, poumons et foie. Les boyaux étaient raclés, nettoyés et mis de côté dans un panier en osier. Les poumons et le foie étaient suspendus un moment pour qu'ils puissent s'égoutter. On disposait la tête et divers abattis dans un grand chaudron rempli d'eau et on laissait cuire pendant 1h30 à 2h. Les femmes coupaient alors la viande en petits morceaux, la mélangeaient avec le sang et en emplissaient les boyaux qu'elles mettaient à cuire dans la même eau, pendant une heure supplémentaire.
Ainsi se terminait la première journée ; on goûtait le boudin, arrosé de vin de pays et de gnôle et on jouait à la manille jusqu'à deux heures du matin.

Les ustensiles utilisés pour préparer le cochon

Le deuxième jour débutait par le traditionnel casse croûte où tout le monde était convié.
Puis, on commençait à découper le cochon : jambons, poitrine, lard, La viande rouge et le foie qui allaient servir à la confection de la saucisse, ainsi que la viande blanche pour le saucisson, étaient choisis à ce moment-là. Les femmes étaient chargées de les couper en morceaux et de les assaisonner avant de mettre ce mélange dans des pots en terre. On faisait cuire un peu de viande sur le grill, qui s'appellaient les « tastets ». Il ne restait plus qu'à goûter afin de vérifier les proportions, à la plus grande joie des enfants qui savaient être là au bon moment !

Une fois cuits, les saucissons étaient pendus dans la cuisine près de l'âtre pour qu'ils séchent plus rapidement. Les premiers saucissons étaient traditionnellement consommés à Pâques. Quant à la saucisse, on la mangeait plus rapidement, dès qu'elle était suffisamment sèche.
Du cochon, rien ne se perdait ! Les os étaient consommés immédiatement en coustillous accompagnés de fayots, ou bien mis au sel pendant 8 à 15 jours pour accommoder de succulentes soupes aux choux. Un repas traditionnel aux fayots se tenait le soir du deuxième jour. Il marquait la clôture de cette fête improvisée. Certains venaient de loin pour y participer. Urbain Manric garde le souvenir d'une ambiance extraordinaire, souvent largement encouragée par le vin et la gnôle locale. Les repas se terminaient par la dégustation des oreillettes, sortes de pâtes, entre beignets et crêpes, que l'on cuisait dans la graisse du cochon.

Seules les femmes participaient à la troisième journée. Elles terminaient le travail en accommodant les fritons et les derniers restes. Alors, chacun rentrait chez soi, en attendant le prochain cochon que l'on tuait souvent quelques jours plus tard chez un ami ou un proche voisin.

Peu de familles perpétuent encore aujourd'hui la " cérémonie " du " pèle-porc ", comme on la nomme dans certaines régions. Et celles qui tuent encore le cochon le font d'une façon bien différente. La plupart du temps, le cochon est tué à deux heures de l'après midi et tout est bouclé dès le lendemain. Les morceaux sont immédiatement congelés, ce qui ce gagne en hygiène mais perd beaucoup en tradition.
Urbain Manric garde en tout cas un souvenir formidable de ces grandes fêtes qui rythmaient la vie des hommes et celle de leur terre.


P. RASSAT - J-M. FAGET


Couleur Lauragais N°10 - Mars 1999