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" Le minotier de Saint Martin Lalande "

Les anciens moulins, à vent ou à eau, font partie du paysage du Lauragais. Jean Mazières est minotier à Saint Martin Lalande depuis plus de 50 ans. Il nous parle de son métier et propose, pour Couleur Lauragais, de nous expliquer la fabrication de la farine.

Jean Mazières. Minotier à Saint Martin Lalande
(crédit photo : J-M Faget)

« Être minotier, c'est un métier de fou et souvent une affaire de famille » lance d'emblée Jean Mazières. Chez les Mazières, cet héritage familial est déjà ancien. Un lointain ancêtre de Jean, avait loué en 1592 deux moulins : un à vent et un à eau, moulins dont il reste encore aujourd'hui les vestiges à côté du village de Puginier. Son grand-père était lui-même meunier à l'écluse de la Planque sur le Canal du Midi et son père avait acheté le moulin du Viviers dès 1936. Jean Mazières a quant à lui commencé à travailler à l'âge de 17 ans et a repris la minoterie à la suite de son père en 1975. Le meunier, explique-t-il, est un artisan. Le minotier, quant à lui, fabrique et fait le commerce industriel de farines. La minoterie a connu une époque bénie à la fin du siècle dernier. Il y avait alors 27 moulins uniquement sur les environs de Castelnaudary. Une époque révolue puisqu'il n'en reste aujourd'hui que 4 encore en activité sur tout le département de l'Aude.

L'évolution du secteur a aussi entraîné une évolution des outils. L'industrie s'est adaptée aux exigences de la production : la meule, traditionnellement en pierre, a été rapidement remplacée par des cylindres plus solides et plus rentables. Avec 100 kg de blé, on produit aujourd'hui environ 75 kg de farine et 25 kg de son, destiné à l'alimentation du bétail. Le travail à la meule permettait de récupérer au mieux 62 kg de farine. De plus, comme l'explique Jean Mazières, le cylindre donne une farine plus pure que la meule, avec un goût légèrement différent.
Ensacheuse
(crédit photo : J-M Faget)

Le savoir-faire demeure cependant traditionnel et régional. La minoterie de Saint Martin Lalande est ainsi habilitée à produire la farine servant à la fabrication du pain du Pays Cathare, marque déposée par le Conseil Général de l'Aude. Cette farine est constituée d'un savant mélange d'épautre, de seigle et de blé, et permet de fabriquer un pain à la saveur bien particulière. Pour les autres pains, Jean Mazières a choisi une sélection de 10 variétés de blés qu'il utilise en proportions différentes suivant le type de farine qu'il souhaite fabriquer. Chaque variété est conservée dans une cellule spécifique et utilisée en mélange suivant les besoins de la clientèle. « Le minotier, note Jean Mazières, doit impérativement connaître le travail du boulanger. Il doit même être capable de le conseiller sur l'utilisation de telle ou telle farine, bien que le boulanger n'accepte pas toujours ces utiles conseils ». Certains veulent une farine avec des blés plus souples, d'autres avec des blés plus résistants. Le travail du minotier s'approche alors un peu de celui de l'alchimiste. La fabrication de la farine a d'ailleurs son grimoire : « La théorie du travail du blé », livre de chevet de Jean Mazières, écrit à la fin du 18ème siècle par un auteur allemand et qui décrivait le matériel nécessaire à la production de la farine.

Une fois que les proportions du mélange sont déterminées, le blé est nettoyé, brossé et légèrement humidifié. Une étape importante mais dont ne s'embarrassaient pas les meuniers d'autrefois. À une époque, raconte en souriant Jean Mazières, la farine était certes constituée de blé mais aussi de beaucoup de poussière, et parfois même de crottes de souris et autres éléments très sales. Les normes d'hygiène garantissent aujourd'hui une farine impeccable. La pureté a d'ailleurs son unité de mesure : le taux de cendre. Jean Mazières explique que ce taux se calcule en brûlant 5 gr de farine et en observant les résidus minéraux qui subsistent après la cuisson. Le taux de cendre est ainsi déterminé sur une échelle allant de 45 à 110. La majorité des farines qui sortent de la minoterie ont aujourd'hui un taux de cendre compris entre 55 et 65, précise Jean Mazières.

Un dernier tamisage de sûreté et c'est le conditionnement par sacs de 50 kg et l'expédition. La production de la minoterie Mazières est acheminée ensuite vers plus d'une centaine de boulangeries artisanales, sur cinq départements entre Toulouse et Nîmes.

La production de la farine a longtemps constitué un enjeu national majeur : l'État souhaitait à tout moment connaître la capacité de production des minoteries françaises en cas de guerre et de crise. Autour de 1935, étant donné la surproduction et la chute du prix du blé, l'État avait imposé, dès 1936, un contingentement de la production. Ce système, unique en Europe, perdure encore aujourd'hui puisque les moulins doivent posséder un « droit de mouture » qui peut s'acheter d'un moulin à l'autre. On trouve ainsi encore quelques minoteries familiales, où le droit de mouture se passe de génération en génération, et des groupes plus importants qui travaillent surtout pour les boulangeries industrielles et les surgelés. Rien à voir cependant avec les plus grosses minoteries du monde que l'on trouve aujourd'hui dans les pays du tiers monde.

La minoterie de Saint Martin Lalande demeure quant à elle une entreprise de taille humaine. Elle fait partie intégrante de la tradition du Lauragais et perpétue la méthode de fabrication de la farine en utilisant les mêmes recettes que les meuniers d'autrefois.


Pascal Rassat
Jean-Marc Faget

Couleur Lauragais N°6 - Octobre 1998