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Couleur Lauragais : les journaux

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" Le dernier tuilier du Lauragais "

Léon Vidal, 88 ans, a été tuilier à Ayguesvives jusqu'en 1975, le dernier tuilier à produire des briques et tuiles traditionnelles, travaillées à la main. Il raconte à Couleur Lauragais l'histoire de la brique rouge, une petite part de l'âme du Lauragais.


L'histoire de Léon VIDAL commence par une expatriation, celle de son père, Joachim, qui quitta l'Espagne à la fin du siècle dernier pour venir s'installer en France. Joachim Vidal s'installe d'abord sur Béziers en 1898 avant de choisir Ayguesvives et le Lauragais pour commencer une nouvelle vie. En 1909, il crée la fabrique de briques qu'il installe au bord du canal du Midi, en face de l'écluse d'Ayguesvives et du moulin de Ticaille.

Léon Vidal naît en 1910 et commence à apprendre le métier dans les années 20. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, la fabrique fait vivre toute la famille, le père Joachim mais aussi ses deux fils Léon et Paul. Durant la guerre, les chevaux et les hommes sont réquisitionnés pour partir aux combats.
Léon Vidal est fait prisonnier et restera 18 mois en Suisse, période durant laquelle le père, Joachim, fera fonctionner la fabrique sur ses seules épaules. L'après-guerre marque une reprise de l'activité et la fabrique d'Ayguesvives est l'une des premières à en profiter.

Car les briques et tuiles produites à Ayguesvives n'étaient pas comme les autres, elles étaient en effet façonnées à la main de manière traditionnelle. En 1927, la fabrique s'était bien dotée d'une mouleuse, ces machines qui débitaient de la brique usinée, mais les Vidal ont toujours continué à produire une partie de leurs briques à la main, comme leurs ancêtres l'avaient toujours fait. Les produits façonnés de manière traditionnelle sont en effet moins cassants et de meilleure qualité que ceux réalisés avec les machines.

À 88 ans, Léon Vidal raconte encore avec passion le métier qu'il a exercé pendant près de soixante ans. Le travail de briquetier commençait par la recherche de la matière première, la terre, ainsi que le bois ou le charbon qui servaient à alimenter le feu du four de cuisson. La terre était récupérée dans les environs d'Ayguesvives. Il allait la chercher en charette faisant souvent plusieurs navettes dans la journée pour ramener la précieuse cargaison jusqu'à la briqueterie. Le bois servait au tout début du siècle pour chauffer le four mais fut rapidement remplacé par le charbon des mines de Carmaux qui arrivait en train à la gare de Baziège.

Un four de tuilier

Il fallait ensuite mélanger la terre à l'eau, malaxer cet amalgame et utiliser un moule pour reproduire une taille standard sur chaque bloc (selon les cas de 40 cm à 50 cm de longueur sur 20 à 25 cm de largeur et 4 cm de haut environ).
La dernière opération de mise en forme consistait à tailler les morceaux de mollasse avec un fil d'acier.

On préparait enfin le four qui allait permettre de cuire les briques. Un four immense capable de cuire 9 000 briques en une seule fournée.
L'art du briquetier tient, pour une bonne part, à la cuisson. Plus les briques cuisent, plus elles virent au rouge et deviennent solides. La place des briques dans le four était ainsi particulièrement importante : celles les plus proches du feu servaient de parement, tandis que les moins cuites étaient utilisées pour les murs de construction.

La cuisson durait ensuite pas moins de trois jours et deux nuits dégageant une chaleur incroyable sur plusieurs dizaines de mètres à la ronde.
À l'issue de ces trois journées, on recouvrait la masse incandescente de sable afin d'accélérer son refroidissement. Il fallait encore patienter pendant plus d'une dizaine de jours pour pouvoir enfin ressortir les briques cuites.
Chaque année, plus de 50 000 briques sortaient de la fabrique réparties sur 6 fournées. Le travail de la briqueterie ne pouvait s'effectuer que pendant les périodes chaudes, le gel hivernal rendant impossible le travail de la terre. Pour pallier cette inactivité saisonnière, les Vidal avaient également créé une scierie qui leur permettait de poursuivre une activité pendant toute la période froide.

La production de la briqueterie était vendue sur Toulouse et dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres autour d'Ayguesvives. Elle a notamment été utilisée sur les chantiers des monuments historiques (les Vidal fournissaient en particulier les chantiers de rénovation de Saint Sernin, des Beaux-Arts, du lycée Pierre de Fermat). Elle servait également aux constructions plus traditionnelles. Les maçons du Lauragais venaient souvent à la briqueterie pour choisir leurs matériaux et retailler les blocs sur place afin de les adapter à leurs besoins.

Le séchage des tuiles

Léon Vidal a arrêté son activité en 1975. Une fabrique de Grépiac a repris la succession mais plus personne en Lauragais, ne produit encore les briques de manière traditionnelle.

Si vous passez devant la briqueterie d'Ayguesvives, peut-être ressentirez-vous un peu de cette atmosphère qui emplit encore les lieux. Une atmosphère bien particulière qui contribue à la construction de l'âme de notre région.

Pascal RASSAT


Couleur Lauragais N°2 - mai 1998